5 Avril 2019
Une batterie du milieu du XVIIIe siècle restée dans son jus ? Non, le Long XIXe siècle est encore passé par là (et le Court XXe, aussi, en passant), même si ses traces ont été consciencieusement effacées.
Pourtant, le texte du panneau signalétique sur place est catégorique : "Érigé vers 1746 pour défendre l'entrée de la baie de la Forêt et le port de Concarneau, son aspect reste à ce jour inchangé : en forme de fer à cheval, l'entrée protégée par deux demi-bastions, le parapet ouvert de six embrasures tournées vers la mer, un corps de garde surmonté d'une guérite et un magasin à poudre".
Des embrasures... nous voyez-vous venir ?
Bâtiment regroupant le magasin à poudre (à gauche) et le corps de garde (à droite) flanqué d'une guérite à deux étages (cliché A. Guillot)
Corps de garde et demi-bastion de droite vus de l'estran ; l'appareil à carreaux et boutisses de l'escarpe est remarquable (cliché A. Guillot)
La batterie du Cabellou est construite durant la guerre de Succession d'Autriche, vers 1745-1746. Elle contribue à défendre l'entrée du port de Concarneau, avec la batterie de Beuzec et celle du Fer à Cheval dans la ville close. Elle complète également le dispositif plus large de protection des communications maritimes sur cette portion de la côte avec les batteries de Beg Meil et de Trévignon. En 1747, comme trente ans plus tard, son armement est constitué de quatre canons de 22 livres (calibre anglais !). Le premier état du parapet, percé d'embrasures, peut correspondre à ces pièces d'artillerie sans doute placées sur affûts marins.
La composition de l'armement évolue à la fin du XVIIIe siècle. En 1794, il est fait mention de quatre canons de 36 livres. Un document non daté, mais sur lequel figure le fourneau à réverbère à rougir les boulets mentionné au moins dès 1803 - mais très probablement construit au début des guerres de la Révolution - représente le parapet de la batterie sans embrasures. Ceci suggère que l'artillerie est alors placée sur affûts de côte et tire à barbette par dessus le parapet dont les embrasures ont été bouchées. Une évolution somme toute très classique.
Evocation (dans l'état actuel des connaissances) de la batterie du Cabellou vers 1800, par Lionel Duigou
La batterie sert durant toute la durée des guerres de la Révolution et de l'Empire avec le même armement de quatre pièces de 36 (la commission de défense des côtes de 1841 précise que de 1803 à 1808 elle tire 137 coups). Une "batterie haute" armée de quatre mortiers de 12 pouces est mentionnée en 1811 et 1813 (elle est visible sur la carte de Beautemps-Beaupré).
La commission de 1841 prévoit de conserver la position en la dotant de deux canons de 30 livres et deux obusiers de 22 cm, avec comme réduit un corps de garde crénelé pour 20 hommes. Des projets de construction de cette nouvelle batterie en arrière de l'ancienne, jugée trop petite et trop basse sur l'eau, sont proposés durant les années 1840 et 1850, mais sans suite. La commission de défense des côtes de 1859 décide l'abandon de la batterie.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, l'armée allemande fortifie lourdement la pointe du Cabellou en y construisant des abris et des blocs de combat. L'ancienne batterie est intégrée à ce dispositif par l'aménagement d'embrasures pour armes légères dans le mur crénelé de son front de gorge.
Evocation de l'état actuel du front bastionné (les modifications allemandes sont signalées en jaune), par Lionel Duigou
La batterie est acquise par la ville de Concarneau en 1960 et classée Monument historique en 1962. La comparaison des photographies aériennes de l'après-guerre et de la fin des années 1960 met en évidence la restauration du parapet dont les embrasures sont alors débouchées, effaçant du même coup l'état de la période Révolution-Empire (le fourneau à réverbère ayant lui probablement disparu dès le XIXe siècle).
Site public libre d'accès (et agréable lieu de promenade).
P. Jadé
Sources :
Service historique de la Défense, Vincennes, archives du Génie et de l'Artillerie
Nicolas Faucherre et al. Les Fortifications du littoral. La Bretagne-Sud, Chauray-Niort, Ed. Patrimoines et médias, 1998
Thierry Ribouchon, Les Fortifications de Concarneau, Saint-Evarzec, Ed. du Palémon, 2005