22 Septembre 2016
A l'occasion des journées européennes du patrimoine les 17 et 18 septembre 2016, l'association "1846" proposait des visites guidées de la batterie de Cornouaille à Roscanvel.
"Mais, nous direz-vous, pourquoi-donc une association de dix-neuviémistes patentés s'intéresse-t-elle à ce site vaubanien ?"
Pour la même raison que d'habitude : c'est bourré de trucs du XIXe.
Certes, la batterie de Cornouaille doit beaucoup à Vauban.
Le Commissaire général des Fortifications choisit ce site - déjà doté d'une batterie de côte par le duc de Beaufort dans les années 1660 - dès son premier séjour à Brest en 1683, pour implanter l'une des deux puissantes batteries basses qu'il prévoit pour défendre l'entrée du goulet de part et d'autre du rocher du Mengant. A cet endroit, le goulet, seulement large d'un peu plus de deux kilomètres, est séparé en deux passes par la crête rocheuse formée par le plateau des Filettes, la basse Goudron et le Mengant. Les navires empruntant l'un ou l'autre passage doivent passer à portée de canon de la côte. La "sister-battery" de celle de Cornouaille sur la rive nord du goulet est la batterie de Léon (c'est original...), aussi connue sous le nom de fort du Mengant.
Les deux ouvrages sont commencés en 1684. Mais si au Mengant tout est à peu près fini en 1687, à Cornouaille les travaux sont interrompus faute de crédits et ne reprennent qu'après 1692, en pleine guerre de la Ligue d'Augsbourg (1688-1697). En 1696, la grande batterie au parapet de 200 mètres de développement est achevée par l'ingénieur Traverse. Il a fallu dérocter la falaise pour aménager sa plate-forme capable d'accueillir 36 pièces d'artillerie. En avril 1694, elle est armée de 16 canons de 36 livres et 20 canons de 24 livres. C'est une batterie basse, un ouvrage d'interdiction des passes du goulet, destiné à faire feu au ras de l'eau dans les coques des vaisseaux tentant de forcer le passage.
La batterie haute prévue n'est construite que plus tard - elle n'apparaît dans la documentation qu'au début du XIXe siècle -, de même que la tour de défense contre les attaques du côté terre qui est construite en 1813 sur ordre de Napoléon Ier (tour-modèle n° 1).
Des casernes sont construites au XVIIIe siècle dans la batterie et sur le plateau. Deux fourneaux à rougir les boulets sont ajoutés au cours de la période révolutionnaire (ainsi qu'à la batterie de Beaufort).
Une modification importante du parapet de la batterie intervient au tournant des XVIIIe et XIXe siècles. Entre 1791 et 1807, en effet, les embrasures du parapet sont bouchées. Les 36 embrasures percées dans le parapet en maçonnerie correspondaient à l'emploi de canons sur affût de bord. A présent, ce sont des affûts de côte à châssis pivotant qui supportent l'armement de la batterie. Ces affûts conçus dans la seconde moitié du XVIIIe siècle font tirer les pièces d'artillerie par dessus le parapet (tir "à barbette").
En 1811, l'armement de la batterie est de 18 canons de 36 livres, plus 6 mortiers de 10 pouces à la batterie haute.
La transformation du parapet de la batterie de Cornouaille lors de l'introduction des affûts de côte (ca. 1800)
Embrasure du XVIIe siècle et parapet adapté à l'affût de côte avec emplacement ménagé pour le débattement du châssis
La batterie conserve un armement similaire jusqu'aux lendemains de la guerre de 1870. La "Commission mixte d'armement des côtes de la France, de la Corse et des îles" de 1841 lui attribue toujours 18 bouches à feu : 9 canons de 30 livres et 9 obusiers de 22 cm.
Dans les années 1860, la révolution dans les moyens d'attaque induite par l'apparition de l'artillerie rayée et du navire cuirassé rend la batterie de Cornouaille obsolète.
Pourtant, elle continue à servir.
En attendant la réorganisation des ouvrages défensifs de la rade et du goulet de Brest entamée après la guerre de 1870, un armement dit "transitoire" est installé dans les anciennes batteries. A Cornouaille, ce sont au moins trois canons de marine rayés de 19 cm (modèle 1864-66, pour les puristes) qui sont installés à l'extrémité ouest de la batterie basse en 1874. Il s'agit des dernières pièces de gros calibre à ainsi prendre place derrière le vénérable parapet, très légèrement modifié pour l'occasion : des petites encoches en brique et ciment pour l'adapter aux affûts utilisés. Le même armement (quatre pièces) a été installé à la batterie du Mengant.
Mais le véritable armement lourd attribué à la position de Cornouaille pour faire du tir dit "de rupture" au niveau de la ligne de flottaison des navires ne peut plus être installé à ciel ouvert dans l'ancienne batterie du XVIIe siècle. L'ouvrage ne résisterait plus aux obus de gros calibre des cuirassés, et quand bien même les coups passeraient-ils au-dessus du parapet, leur impact sur la falaise criblerait canons et servants d'éclats (un problème connu depuis la fin du XVIIIe siècle au moins et qui avait fait l'objet d'études en conditions réelles à la pointe des Espagnols en 1847 et 1853).
La solution : placer les canons dans des casemates.
Les batteries de rupture casematées du goulet de Brest sont en projet depuis la fin des années 1870 mais ne sont construites qu'en 1888 (sauf celle du Portzic, aménagée dès 1884 à titre expérimental). Cinq de ces sept batteries se situent sur la rive sud du goulet : pointe des Espagnols, Pourjoint, fort Robert, batterie de Cornouaille et îlot des Capucins. Leur armement consiste en deux énormes canons de 32 cm (modèle 1870-84, pour les puristes toujours) tirant au passage des navires.
A Cornouaille, la casemate est creusée dans la falaise en retrait de la plate-forme de l'ancienne batterie. Les obus parcourent donc une tranchée à ciel ouvert avant de traverser l'ouvrage du XVIIe siècle par des ouvertures voûtées !
La batterie du XVIIe siècle n'est pas abandonnée longtemps. Elle reprend du service dans les années 1890, lorsque la menace des torpilleurs, petits et rapides, fait installer des canons de petit calibre "à tir rapide" dans les anciennes batteries basses du goulet. Les quatre canons Hotchkiss de 47 mm sont placés deux par deux derrière le parapet dont la plongée est accentuée afin d'augmenter la zone battue par les pièces. Un magasin à munitions est creusé dans la falaise, des niches pour quelques coups sont aménagées dans le parapet et un hangar à matériel est appuyé sur celui-ci.
La batterie de Cornouaille à la fin du XIXe siècle, c'est encore la ligne de torpilles de fond de la passe sud du goulet (sujet déjà évoqué ici) et un poste de projecteurs électriques (article sur le sujet à venir). Bref, toute la modernité de l'époque mise au service... de la lutte contre la Royal Navy.
Patrick en pleine explication sur les torpilles (cliché AVPR) et le visuel pour soutenir son propos (L. Duigou)
Vers où, vers quoi mène l'escalier ? Maintenant on sait qu'il faut dire : "poste photo-électrique" (clichés "1846" et S. Guéguen)
Le site est désarmé pendant la Première Guerre mondiale, ses canons trouvant mieux à s'employer sur le front terrestre.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, les Allemands installent une batterie antiaérienne et un observatoire en lien avec un barrage mines sous-marines au sommet de la falaise, et une batterie lance-torpilles à l'est de la batterie basse.
De nos jours, la batterie de Cornouaille est à l'abandon. Les deux cent ans d'évolution de son armement peuvent tout à fait se lire sur son parapet. Et c'est ce que nous avons fait (en mode "archéologie du bâti du dimanche").
Extrait du relevé en élévation (intérieur) et en plan du parapet de la batterie de Cornouaille. Maintenant que vous savez tout, comme les visiteurs des JEP, facile de vous y retrouver... (cliché S. Guéguen)
La Défense a cédé le site au Conservatoire du littoral. Il n'est (normalement) pas accessible au public.
142 chanceux nous ont accompagnés à l'occasion de ces journées du patrimoine. Merci à eux et à tous ceux grâce à qui ces visites ont pu avoir lieu.
Sources :
Service historique de la Défense, Vincennes, archives du Génie, de l’État-major de l'Armée et de la Marine
Lécuillier Guillaume (dir.), Les Fortifications de la rade de Brest : défense d'une ville-arsenal, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « cahiers du patrimoine », 2011
Notice de la base de donnée en ligne du service régional de l'Inventaire du patrimoine culturel