13 Novembre 2016
Un cas remarquable d’adaptation des plans-types de 1846 au contraintes du terrain.
La batterie Robert, ou de la pointe de Kergadiou, plus communément appelée fort Robert, fait partie des positions d'artillerie défendant le goulet de Brest depuis la fin du XVIIe siècle.
La « commission d'armement des côtes de la France, de la Corse et des îles » de 1841 ne l'oublie pas dans son programme de remise à niveau des fortifications littorales françaises. Elle lui prévoit un armement de 6 canons de 30 livres et 6 obusiers de 22 cm, et comme réduit un corps de garde défensif pour 60 hommes (n° 1).
Cependant, il apparaît dès la rédaction des premiers projets par la chefferie du génie de Quélern en 1848 qu'il est tout simplement impossible d'installer de manière satisfaisante un corps de garde n° 1 sur le site de la batterie Robert. En effet, l'épaulement est placé à mi-pente sur une plate-forme étroite et dominée par un pan de falaise. Y construire un bâtiment de 23 mètres sur 15 assez près de la batterie pour qu'il puisse servir de refuge aux servants suppose de grands déblais de rocher. Des travaux coûteux pour un résultat médiocre du point de vue défensif puisque la terrasse du réduit serait totalement vulnérable car exposée aux tirs venant du haut. Le Comité des fortifications demande donc de nouvelles études.
Et c'est parti pour plusieurs années de trituration du plan-type.
Le réduit de la batterie Robert dans les premiers projets pour 1848 : un corps de garde pour 60 hommes type
L'équation à résoudre est celle-ci : comment placer un bâtiment pouvant contenir 60 hommes et des munitions pour 12 pièces d'artillerie et les locaux annexes (chambre d'officier, logement du gardien, cuisine, magasins), dans un espace étroit et dominé, sans trop l'exposer aux tirs du large ni la placer trop près de l'épaulement de la batterie (risque d'éclats en cas de coups passant au-dessus) tout en essayant d'éviter d'avoir à raboter la falaise ?
Les chefs du génie de Quélern successifs ne peuvent tenter de la résoudre qu'en s'affranchissant de la circulaire de 1846 sur les corps de garde défensifs.
Le projet de décembre 1848 propose un bâtiment tout en longueur, de 48,30 mètres sur 10, sans terrasse. Ce choix de la suppression de la terrasse et son remplacement par un toit à double pente se retrouvent dans tous les projets postérieurs. De même pour l'emplacement du bâtiment : tous cherchent à le placer à l'abri du pan de rocher qui délimite la batterie à l'ouest. Le Comité n'est cependant pas satisfait par ce bâtiment qu'il trouve surdimensionné.
Un nouveau projet est envoyé en décembre 1850. Le corps de garde reprend l'organisation proposée en 1848, mais est de dimensions plus modestes (32 mètres sur 10). Cette fois-ci le Comité valide l'ensemble du projet, mais... ajourne son exécution, les crédits étant alors alloués en priorité à la construction du fort devant servir de réduit aux lignes de Quélern.
La reprise des projets pour la batterie Robert en 1856 se fait sur les bases du projet de 1850. Pour autant, le débat n'est pas clos car le directeur des fortifications de Brest se fend d'un contre-projet pour le corps de garde. Il propose toujours un bâtiment à un seul niveau sans terrasse, mais démesurément allongé : il s'étend sur plus de 50 mètres pour 6,50 mètres de large seulement et forme une ligne brisée qui s'adapte à la falaise.
C'est finalement du Comité, qui ne valide pas ces propositions, que vient la solution finalement mise en œuvre.
Le croquis joint à son avis du 11 février 1857 présente un bâtiment plus ramassé (26,80 mètres sur 8,60) dont les locaux sont répartis sur deux niveaux, toujours sans terrasse défensive. Le Comité impose aussi le retour de dispositions défensives : fossé franchi par un pont-levis devant la porte, flanquement depuis des murs crénelés appuyés sur la falaise.
Cette caserne défensive est construite vers 1857-1858. Les arcs-boutant présents sur trois faces du bâtiment ne sont pas prévus dans le projet initial. Ils sont ajoutés peu de temps après son achèvement pour pallier l'insuffisance des culées à équilibrer la poussée des voûtes.
Le bâtiment continue de servir de casernement et de magasin à munitions à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Il est endommagé pendant la Seconde Guerre mondiale, ce qui occasionne de réelles inquiétudes quant à son devenir.
Propriété du Conservatoire du littoral, site non accessible au public et dangereux.
P. Jadé
Sources :
Service historique de la Défense, Vincennes, archives du Génie
Philippe Truttmann, Les Derniers châteaux-forts. Les prolongements de la fortification médiévale en France (1634-1914), Thionville, Gérard Klopp, 1993
Lécuillier Guillaume (dir.), Les Fortifications de la rade de Brest : défense d'une ville-arsenal, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « cahiers du patrimoine », 2011
Notice de la base de donnée en ligne du service régional de l'Inventaire du patrimoine culturel