13 Janvier 2017
Cet article inaugure une série d'études consacrées à la manière dont les officiers du génie français parviennent à conserver leur liberté d'action dans le cadre du programme des tours et corps de garde crénelés de 1846.
Premier exemple : les bretèches.
Les bretèches, ou balcons à mâchicoulis (parfois simplement désignées "mâchicoulis"), sont des organes de flanquement en saillie de la terrasse des réduits. Elles sont au nombre de huit quel que soit la taille de la tour ou de corps de garde. Des créneaux percés dans les faces (un par face) et le plancher (deux) permettent d'éclairer les angles morts à la base des murs.
Façade de corps de garde crénelé pour 20 hommes du type de 1846 avec quatre de ses huit bretèches visibles
Comme il est possible de le constater sur le dessin ci-dessus, les bretèches sont clairement figurées sur les plans-types que doivent appliquer les officiers en charge de projets de modernisation de batteries de côte entre la fin des années 1840 et les années 1860.
Pourtant, certaines réalisations s'éloignent du standard. Dans la plupart des cas il s'agit de variations mineures, plutôt d'ordre esthétique. Il est difficile dans ces cas de savoir si l'écart est dû à l'ingénieur militaire ou à l'entrepreneur civil.
Consoles et linteaux s'éloignant du plan-type dans les batteries de Kermorvan (Le Conquet), Saint-Martin (Saint-Germain-des-Vaux), Loqueltas (Ouessant) et l'Aber (Crozon)
Dans d'autres cas la modification s'explique par un souci d'optimisation tactique ou économique et peut donc être attribuée à l'officier du génie en charge de la chefferie au moment de la construction.
Trois exemples bretons :
- les monobretèches du chef de bataillon Le Bouëdec ;
- les consoles biseautées du capitaine de La Tour ;
- les créneaux supplémentaires de la chefferie du Conquet.
Les batteries des abords du port de Lorient et celles de l'île de Groix reçoivent leurs réduits dès la fin des années 1840. Parmi ceux-ci figurent les premières applications d'un plan-type de corps de garde pour 30 hommes tout récemment créé (cf. notre article sur ce qu'il faut savoir sur les réduits). Cette modification du plan-type n° 2 pour 40 hommes consiste en une diminution de la largeur du bâtiment. Le chef de bataillon Le Bouëdec, alors chargé des chefferies du génie de Lorient et Port-Louis, considérant sans doute qu'un seul organe suffit pour flanquer les petits côtés, n'y a donc construit qu'un unique seule bretèche, au milieu.
Cette particularité se retrouve dans les batteries de Clohars, de Kéragan et de Loqueltas près de Lorient, et dans celle du Gripp à Groix, toutes réorganisées dans les années 1847-1848. Mais quand en 1859 le corps de garde de la batterie du Grognon à Groix est construit à son tour, l'ingénieur alors en poste reprend la formule mise en oeuvre par Le Bouëdec une dizaine d'années plus tôt.
Corps de garde pour 30 hommes des batteries du Gripp et du Grognon à Groix, et leur unique bretèche de gorge
Le capitaine de La Tour est chef du génie de la place de Quélern lorsque sont construits les corps de garde des batteries de Roscanvel, du Kador, de Rulianec et de Postolonnec entre 1859 et 1861. Il choisit de doter toutes les bretèches de consoles taillées en biais vers l'extérieur, ce qui augmente le champ de tir battu depuis les créneaux de plancher. Étonnamment, le réduit de la batterie du Petit Gouin, construit en 1859 par le même officier, n'a pas bénéficié de cette modification (dont l'idée serait venue après ?).
Les bretèches à consoles biseautées des corps de garde des batteries de Rulianec, Roscanvel et le Kador (Crozon et Roscanvel)
Le cas de la chefferie du Conquet dans les années 1850 est légèrement différent de ceux évoqués précédemment, car la modification des bretèches des corps de garde ne peut pas y être attribuée à un officier en particulier.
Cet accroc au plan-type consiste en l'ajout d'un créneau de tir supplémentaire dans le bas des bretèches qui encadrent la porte afin d'augmenter la couverture de cette partie plus vulnérable. Elle est présente sur les corps de garde des batteries d'Ilien (1851), de Portzmoguer (1852), de Saint-Mathieu (1854) et de Trégana (ca. 1855). Durant la période voyant la construction de ces réduits, la chefferie du Conquet change quatre fois d'officier en charge. Tous ont maintenu l'innovation introduite par l'un d'eux.
Créneaux supplémentaires dans la partie basse tournée vers la porte des bretèches de gorge du corps de garde de la batterie de Saint-Mathieu (Plougonvelin)
P. Jadé
Sources :
Service historique de la Défense, Vincennes, archives du Génie