11 Juin 2017
Les tours et corps de garde crénelés du type défini en 1846 sont dotés d'une terrasse sommitale dont la fonction principale est de servir de plate-forme de combat (leur fonction secondaire est de recueillir les eaux pluviales pour alimenter une citerne). Cette terrasse accessible par un (ou des) escalier(s) intérieur(s) est à ciel ouvert et munie d'un parapet crénelé de faible épaisseur (50 cm à 1 m) d'une hauteur de 1,80 m.
Voilà pour la théorie.
En pratique, si dans la grande majorité des cas la disposition du plan-type est celle qui a été adoptée, un nombre non négligeable d'ouvrages présente toutefois des adaptations au niveau de la terrasse.
Passons rapidement sur la présence de pans coupés dans certains parapets, qui s'explique par la nécessité de mieux couvrir tel ou tel axe de tir, sur le cas des bretèches, déjà évoqué, ainsi que sur des cas particuliers comme le réduit de l'île Dumet, où les bretèches sont déplacées de la terrasse à l'étage inférieur pour les soustraire aux coups de l'artillerie, ou celui de Penfret dont le parapet crénelé est remplacé par un mur à bahut avec banquette de terre, pour sensiblement les mêmes raisons.
Ce qui contraint le plus souvent les ingénieurs militaires à s'éloigner du plan-type pour la terrasse est la nécessité de la défiler des vues provenant du terrain alentour. Il arrive que des ouvrages soient placés dans des positions où ils sont dominés par des hauteurs, situation militairement désavantageuse : le risque est que les défenseurs situés sur la terrasse à ciel ouvert se fassent tirer comme des lapins par des ennemis les surplombant.
Pour éloigner cette fâcheuse perspective, les officiers du génie ont recours à trois remèdes : les murs-traverses, les toitures et... la suppression de la terrasse.
La première solution est adaptée aux cas où la situation n'est pas trop défavorable (mais quand un simple rehaussement du parapet ne peut suffire). Un mur de maçonnerie barrant la terrasse suffit alors à cacher les défenseurs les plus exposés. Parfois, ça se complique quand il faut se couvrir de plusieurs directions à la fois, et les murs-traverses transforment alors les terrasses en véritables labyrinthes. La présence de murs-traverses est attestée sur au moins quinze tours ou corps de garde, soit plus d'un sur dix.
Evocation du corps de garde de la batterie du Kador et vestiges du mur-traverse de celui de la batterie Nord des Blancs-Sablons
Schémas complexes : batterie de Postolonnec (Crozon) en 1947 et poste du Port-Larron (Belle-Île) en 1964. © IGN
Lorsque l'emploi de murs-traverses devient ardue, les ingénieurs se facilitent la tâche en choisissant de recouvrir la terrasse par une toiture, totale ou en appentis. Cette solution concerne au moins six corps de garde crénelés : postes de Port-Fouquet et de Port-Maria à Belle-Île-en-Mer, batterie de l'Estacade aux Sables d'Olonne (disparu), batterie de Bagaud-Est dans les îles d'Hyères, batterie de la Corbière à Marseille (sous forme de voûtes en maçonnerie) et batterie de la Mauresque à Port-Vendres. Mais elle se retrouve dans les projets pour d'autres sites.
Aucun toit en charpente du XIXe siècle ne nous est parvenu. Cependant, celui couvert de tuiles du corps de garde de Port-Maria à Belle-Île a été remplacé presque à l'identique après la Seconde Guerre mondiale. Ironiquement, il est généralement confondu avec les nombreuses toitures rajoutées dès la fin du XIXe siècle lors de la transformation des réduits en habitations, et dès lors considéré comme une altération de l'aspect d'origine du bâtiment...
Corps de garde de Port-Maria et corps de garde de la batterie de la Mauresque avec les vestiges du mur supportant le toit en appentis
De la couverture de la terrasse à sa suppression pure et simple, il n'y a qu'un pas, franchi dans le cas de huit ouvrages. Deux d'entre eux ont déjà fait l'objet d'un article sur ce blog, le corps de garde de la batterie de Porsmoguer à Plouarzel et celui de la batterie Robert à Roscanvel. Les six autres sont les corps de garde des batteries de Ramonette et d'Arzic à Belle-Île-en-Mer, du Cap-Ferrat, de la Fourcade à Antibes, des Mèdes à Porquerolles et de l'Îlot des Singes à Skikda en Algérie. La suppression de la terrasse entraîne une réorganisation profonde des ouvrages pour compenser la perte du flanquement vertical. C'est donc une option radicale choisie lorsque les deux autres ne sont pas satisfaisantes.
P. Jadé
Sources :
Service historique de la Défense, Vincennes, archives du Génie