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Association "1846"

La fortification du XIXe siècle : connaître et partager

Forts du Talud, Ploemeur

Pas de faute d'orthographe dans le titre : il y a bien deux forts de côte côte-à-côte à la pointe du Talud.

© Géoportail
© Géoportail

© Géoportail

Les archives ne mentionnent pas d'ouvrage en ce point avant les années 1740. Un premier petit fort aurait donc été construit à l'occasion de la guerre de Succession d'Autriche. En 1747, il est armé de huit canons de 18 livres. A la fin du 18e siècle et au début du 19e, des canons de 18 livres au nombre de quatre ou cinq sont toujours portés aux états d'armement.

Le fort se compose d'un parapet d'artillerie en arc de cercle et d'une enceinte de gorge bastionnée constituée d'un simple mur crénelé. Il dispose d'un corps de garde et d'un magasin à poudre.

A 350 mètres à l'ouest du fort, se situent un corps de garde de surveillance et un mât de signaux, non loin d'une « pierre druidique » (sic). Encore un peu plus à l'ouest, une petite batterie dite « batterie Napoléon » (rebaptisée « batterie royale » après 1815) est construite sous l'Empire. En 1813 elle est armée de deux canons de 24 livres et d'un mortier de 12 pouces.

 

La pointe du Talud sur la carte de Beautemps-Beaupré, 1819 (BNF)

La pointe du Talud sur la carte de Beautemps-Beaupré, 1819 (BNF)

La commission de défense des côtes de 1841 conserve la position, importante pour battre l'entrée ouest des Courreaux de Groix, et lui attribue six pièces d'artillerie (trois canons de 30 livres et trois obusiers de 22 cm). Un poste d'infanterie de 30 hommes doit également y être stationné pour la surveillance de la côte. Il n'est pas prévu de réduit pour tout ce petit monde, qui doit loger dans les bâtiments existants.

Le comité des fortifications, qui rejette en 1846 la proposition du chef du génie de Lorient de construire un corps de garde crénelé pour 30 hommes, finit l'année suivante par se ranger à ses arguments et par admettre que, l'ancien corps de garde du fort étant en très mauvais état, il convient d'y construire un corps de garde crénelé pour 40 hommes.

Le parapet de la batterie est restauré aux nouvelles normes en 1846. Le corps de garde (type n° 2 de 1846) est commencé en 1847 et achevé en 1848. Comme il est implanté perpendiculairement à la gorge de l'ancien fort, une traverse en terre est construite pour le couvrir des coups pouvant venir de l'ouest.

L'ancien fort du Talud après 1848 (en rouge) et extension de sa batterie en 1861 (en bleu)

L'ancien fort du Talud après 1848 (en rouge) et extension de sa batterie en 1861 (en bleu)

La commission de défense des côtes de 1859 modifie la composition de l'armement en remplaçant deux pièces par des mortiers. Cet armement est diminué d'une pièce en 1862.

Au moment d'étudier la mise en place des plates-formes d'artillerie, il apparaît que l'épaulement existant ne permet pas d'espacer réglementairement les pièces. La batterie est donc agrandie vers l'ouest en 1861. Les traces de cet agrandissement sont bien visibles aujourd'hui.

Raccordement entre l'escarpe initiale du fort (à droite) et le rajout de 1861 (à gauche)

Raccordement entre l'escarpe initiale du fort (à droite) et le rajout de 1861 (à gauche)

Vestiges de l'escarpe de 1861

Vestiges de l'escarpe de 1861

L'ancien fort du Talud n'est pas conservé après la guerre de 1870. Il est déclassé par la loi du 27 mai 1889 et vendu par la suite. Il est actuellement assez ruiné et envahi par des constructions parasites. Son corps de garde a perdu son parapet (peut-être dès la fin du 19e siècle) et est transformé en habitation.

Un nouvel ouvrage est construit vers 1880 sur la hauteur immédiatement en arrière du menhir. En 1876, la commission de défense des côtes arrête son armement à trois canons de 19 cm et trois obusiers (rayés) de 22 cm. Toutefois, il semble que l'armement en place dans les années 1880 se compose plutôt de quatre canons de 24 cm et trois de 19 cm, plus deux « canons à balles » (probablement pour la défense rapprochée).

vue verticale du nouveau fort du Talud (cliché J.-M. Balliet)

vue verticale du nouveau fort du Talud (cliché J.-M. Balliet)

Beaucoup plus grand que son prédécesseur (200 mètres sur 120), il a une forme grossièrement triangulaire. Les parapets d'artillerie de côte forment un redan dont la pointe est tournée vers le large. Des positions de tir pour l'infanterie et l'artillerie légère sont disposées dans les retours des ailes de ce redan. Une escarpe crénelée semi-détachée précédée d'un fossé (actuellement remblayé) clôt l'ouvrage. Le flanquement est assuré par trois bastionnets. La porte s'ouvre au milieu de la gorge organisée en front bastionné, couverte par une vaste demi-lune terrassée.

Bastionnets flanquant l'enceinte créneléeBastionnets flanquant l'enceinte crénelée

Bastionnets flanquant l'enceinte crénelée

Le centre du redan est occupé par le « réduit » du fort, un casernement voûté à cinq travées. Au dessus, seules trois des grandes traverses qui devaient initialement cloisonner les plates-formes ont survécu. Les voûtes de leurs abris à munitions se terminent en cul-de-four. Le magasin à poudre est situé sous une traverse de la branche gauche du redan. Sa voûte est également en cul-de-four. D'une manière générale, l'organisation de détail du fort du Talud est très similaire à celle du fort du Haut-Grognon dont il est contemporain.

Le casernement du fort, surmonté par les positions d'artillerieLe casernement du fort, surmonté par les positions d'artillerie

Le casernement du fort, surmonté par les positions d'artillerie

Suite à la révision de l'armement du littoral intervenue en 1888, le fort subit une refonte au début des années 1890. Son armement principal passe à cinq canons de 24 cm et quatre canons de 95 mm sur affûts de campagne. Les deux canons à balles sont toujours là.

Les structures du fort sont modifiées. Toute la partie droite de la batterie est réaménagée, les hautes traverses sont supprimées ou arasées. Les pièces de 24 cm sont séparés par de simples merlons ne dépassant pas la crête de l'épaulement. Des petites niches à munitions remplacent les abris sous traverses.

Traverse subsitante de l'état de 1880, niches à munitions de la batterie de 24 cm moderniséeTraverse subsitante de l'état de 1880, niches à munitions de la batterie de 24 cm modernisée

Traverse subsitante de l'état de 1880, niches à munitions de la batterie de 24 cm modernisée

Conformément aux usages rendus nécessaires par l'accroissement de puissance des projectiles dans la seconde moitié des années 1880, un magasin à poudre sous roc est creusé sous la partie droite de la batterie. Il est organisé classiquement pour un tel magasin d'une batterie de côte de l'armée de terre. L'un des accès est un escalier qui descend depuis la cour du casernement, l'autre est un monte-charge qui débouche entre deux plates-formes de pièces de 24 cm. Ce magasin, souvent inondé (certains membres de « 1846 » aux pieds mouillés en savent quelque chose), est extrêmement bien conservé.

Magasin sous roc : débouché de l'escalier et galerie principaleMagasin sous roc : débouché de l'escalier et galerie principale

Magasin sous roc : débouché de l'escalier et galerie principale

Magasin sous roc : chambre de stockage

Magasin sous roc : chambre de stockage

Vers la même époque, une batterie de mortiers de 30 cm de la marine est construite au Pérello, à moins de 200 mètres au nord-est du fort. Elle n'existe plus.

Des projets d'installation d'un projecteur de 150 cm au sud du fort sont conçus en 1904 et en 1908 : leur résultat n'est pas connu.

L'artillerie de 24 cm semble avoir échappé à l'envoi au front pendant la Première Guerre mondiale.

Le site est occupé militairement pendant l'entre-deux-guerres, mais à notre grande honte nous n'en savons pas plus. Les quatre canons de 24 cm sont toujours en place en 1939. Deux canons de 95 mm sur affût de côte sont également mentionnés en 1940.

Synthèse fortariciologie-mégalithisme

Synthèse fortariciologie-mégalithisme

Les Allemands occupent le site en 1940. Ils démontent les vénérables (modèle 1876 !) canons de 24 cm et vandalisent le menhir en y gravant une croix gammée. Les glacis sud du fort accueillent une batterie lourde de marine armée de quatre pièces de 17 cm, d'abord en cuves à ciel ouvert, puis sous casemates à partir du printemps 1944. Les espaces et superstructures du fort sont utilisées comme casernements, magasins, abris, supports pour emplacements de pièces antiaériennes. Un télémètre sous coupole blindée est installé au sommet. D'autres blocs bétonnés sont coulés pour la défense rapprochée de la position. Deux canons de 17 cm replacés sur leurs cuves d'origine participent aux combats terrestres de la poche de Lorient.

Coupole blindée du télémètre de la batterie allemande

Coupole blindée du télémètre de la batterie allemande

Le site est actuellement compris dans l'enceinte du camping IGESA du Talud et ne se visite pas librement. Le fort des années 1880-1890 est relativement bien conservé, malgré quelques aménagements postérieurs ; les casemates d'artillerie allemandes sont pour la plupart murées.

P. Jadé

Une casemate allemande essaye de se cacher parmi ces bungalows, sauras-tu la retrouver ?

Une casemate allemande essaye de se cacher parmi ces bungalows, sauras-tu la retrouver ?

Sources :

Service historique de la Défense, département Armée de Terre, Vincennes, archives du Génie, de l'Artillerie et de l’État-major de l'Armée.

Capitaine de frégate Caroff, Les Forces maritimes de l'Ouest, 1939-1940, Marine nationale, 1954.

Alain Chazette, La Batterie du Talut, Histoire et fortifications collection n°1, mars 2001.

Remerciements à M. Godé, directeur du camping IGESA du Talud.

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