La fortification du XIXe siècle : connaître et partager
21 Décembre 2018
A l'occasion d'un précédent article sur les vestiges de l'enceinte urbaine de Brest, notre attention a été attirée par le parapet de la promenade du cours Dajot. De l'extérieur, il apparaissait percé par endroits de fentes verticales régulièrement espacées faisant penser à des créneaux de tir.
Après observations renouvelées et relevés sommaires, il apparaît qu'à ces fentes côté extérieur du parapet correspondent côté intérieur des ébrasements actuellement obturés. Malgré le bouchage et la présence de joints en ciment postérieurs, ces ouvertures restent assez lisibles (mais siii, quand on regarde bien).
Ces ébrasements intérieurs mesurent environ 40 cm de large pour autant de haut et sont situés à environ 40 cm sous le couronnement ancien du parapet, et à guère plus de 30 cm du sol actuel, parfois moins. Sauf exceptions, ils sont espacés entre eux d'environ 290 cm. Leurs joues sont en simples moellons de gneiss. Des pierres allongées de plus grande taille en constituent les linteaux et les appuis.
Côté extérieur les créneaux sont situés à environ 40 cm du sommet du parapet et mesurent environ 60 cm de haut, étant plongeants. Ils sont délimités par des moellons allongés. Lors des travaux de restauration effectués dans les années 2000, les fentes ont été soulignées au mortier.
Certaines ouvertures sont de plus grande dimension (70 cm de large) et pourraient correspondre à des embrasures d'artillerie. Quatre de ces embrasures sont assez nettement visibles sur le côté extérieur de la face gauche du bastion du Château.
Les portions de parapet des bastions et des courtines présentant un crénelage représentent un développement total de près de 400 mètres sur les 600 mètres du cours Dajot :
- bastion du Château, face droite : au moins 4 créneaux, environ 25 mètres ;
- bastion du Château, face gauche : au moins 12 créneaux, 4 embrasures, environ 100 mètres ;
- courtine Château-Rade : 35 créneaux, 1 embrasure, environ 140 mètres ;
- bastion de la Rade, flanc et face droits : 6 créneaux, environ 37 mètres ;
- bastion de la Rade, face gauche: 6 créneaux, 1 embrasure, environ 24 mètres ;
- courtine Rade-Daoulas : 16 créneaux, environ 60 mètres (partie centrale perturbée)
- bastion de Daoulas, flanc droit : 1 créneau, environ 12 mètres.
Le parapet lui-même, d'une maçonnerie moins soignée que celle des escarpes, liée au mortier de terre qui affleure sous les joints contemporains, culmine entre 2 mètres et 2,30 mètres au dessus du cordon. Son épaisseur est d'environ 65 cm. Des pierres de couronnement sont présentes sur de nombreuses portions sous la couverture actuelle en ciment.
A quoi correspond ce parapet crénelé et de quand date-t-il ? Une rapide consultation des archives nous éclaire un peu.
En 1795, dans un mémoire sur la place de Brest, le général du génie Dembarrere écrit :
"Quoiqu'on réconnoisse la main de Vauban dans le tracé ou dans la disposition générale de l'enceinte de Brest et Recouvrance, l'exécution, à laquelle il ne préside pas, fût si défectueuse et avoit resté si imparfaite, que la place étoit très-peu capable de résistance : des revêtemens d'escarpe peu élevés, des remparts dominés qui en plusieurs endroits manquoient de terrassemens de parapets et ne présentoient extérieurement qu'un simple mur crénelé établi sur le cordon".
(Service historique de la Défense, département Marine, Vincennes, Ms 303, Mémoire sur les fortifications de Brest et dépendances, par le C[itoy]en Dembarrere, l'un des inspecteurs généraux de fortifications, 25 floréal an III)
Quelques années plus tôt les rédacteurs d'un autre mémoire sont plus précis :
"Le revêtement du corps de place dont le relief très vicieux prouve qu'il n'est pas de l'exécution du Mal de Vauban, a environ dans tout son pourtour 18 pieds de hauteur jusqu'au cordon. A Recouvrance, le cordon est surmonté d'un mur de revêtement à plomb de 7 à 8 pieds de hauteur qui soutien les terres du parapet, à Brest un pareil mur et de même élévation ne soutien qu'un commencement de parapet de 3 à 4 pieds de hauteur. Ce mur qui n'a que deux pieds d'épaisseur est en partie crénelé et sert lui même de parapet".
(Service historique de la Défense, département Armée de Terre, Vincennes, archives du Génie, 1 VD 40, Suite du mémoire contenant les observations des commissaires nommés par le ministre de la Guerre en vertu du décret de l'assemblée nationale du 22 juillet 1791 sur les places de guerre, postes militaires et côtes maritimes depuis Brest, 5 septembre 1791)
Le parapet du cours Dajot a bien sept à huit pieds (2,20 à 2,50 m) de haut et deux (65 cm) d'épaisseur. Ces mesures correspondent également à la description que donne Vauban d'un mur crénelé dans son Traité de la défense des places (1706) :
"élevé à plomb des deux côtés de 7 pieds et demi de hauteur (env. 2,40 m) au-dessus du cordon, sur deux dépais (0,65 m), percé de créneaux de 6 pieds en 6 pieds (1,95 m)"
Dans le cas qui nous intéresse, l'espacement serait plutôt de neuf pieds (2,92 m). Le parapet est prévu pour le tir debout au mousquet ; le niveau de sol actuel est d'un bon mètre supérieur à celui correspondant à la bonne hauteur pour l'utilisation des créneaux.
C'est Frézier, directeur des Fortifications de Bretagne en poste à Brest, qui explicite la raison de l'existence de ce parapet crénelé dans un mémoire sur la place de Brest daté de 1754 :
"Quand je dis que le rampart de Recouvrance a été achevé les années précédentes je n'entends parler que des parapets et des terrepleins qui ne l'avoient jamais été, quoique le mur d'enceinte ait été élevé jusqu'au cordon, en 1689 ; mais comme alors la déclaration de la guerre avec l'Angleterre et la Hollande faisoit craindre que les Ennemis ne fissent quelques tentatives pour s'emparer de ce port, on se contenta d'élever provisionnellement, audessus du cordon un petit mur crénelé pour servir de parapet au moins au coup de fusil.
On commença ensuite à terrasser de derrière pour en faire un, à l'épreuve du canon, mais par les circonstances des tems on à laissé ce remblais à moitié ou au tiers fait, à quelques endroits, et presque point commencé à d'autres, ou l'on voit encore le mur crénelé dans toute sa hauteur".
(Bibliothèque nationale de France, département Arsenal, MS 6459, Mémoire concernant les fortifications de Brest du département de la guerre, Frézier, 23 août 1754)
Le parapet du cours Dajot serait donc un vestige de ce mur crénelé élevé en hâte au début de la guerre de la Ligue d'Augsbourg pour pallier l'inachèvement des remparts de Brest.
Il se trouve qu'une autre portion du rempart vaubanien est conservée en élévation dans l'emprise de l'hôpital des Armées (bastion Saint-Paul) : son parapet présente également des créneaux de tir obturés.
La date du bouchage des créneaux du cours Dajot et du bastion Saint-Paul n'est pas précisément connue, mais on sait par les archives que les travaux d'achèvement des parapets se sont continués tout au long du 18e siècle et jusqu'au début du 19e.
Le parapet du cours Dajot, qui ne paye pourtant pas de mine au premier abord, mérite donc l'attention des archéologues, des historiens, des interprètes du patrimoine et des aménageurs en tant que probable mur crénelé de la fin du 17e siècle.
P. Jadé
Sources :
Service historique de la Défense, département Armée de Terre, Vincennes, archives du Génie
Service historique de la Défense, département Marine, Vincennes
Gallica
Remerciements à P. Candio
Mise à jour (novembre 2019) : une vue de la rade de Brest datable de la fin du 17e/début du 18e siècle conservée à la BNF montre clairement le parapet crénelé du bastion de la Rade.