La fortification du XIXe siècle : connaître et partager
10 Décembre 2018
La ville-arsenal de Brest était autrefois dotée d'une enceinte bastionnée construite à la fin du 17e siècle et augmentée aux 18e et 19e siècles. Alors qu'elle existait encore jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, cette enceinte a été sacrifiée à l'occasion de la reconstruction de la ville après le conflit. Les clichés aériens pris dans la seconde moitié des années 1940 montrent les masses de terre des bastions et des courtines en train d'être basculées dans les fossés afin de les combler. Alors, une enceinte dont il ne reste rien ? Voire...
En effet, quelques éléments épars (dont un certain nombre datent du 19e siècle) ont survécu et s'offrent au visiteur averti :
En vérité, une portion d'enceinte importante est même conservée, puisque sur toute la longueur du cours Dajot ses murs de soutènement sont les escarpes de trois bastions et de deux courtines datant de la fin du 17e siècle (avec des bouts de parapet crénelé en prime) !
La configuration du site est considérablement modifiée lors de l'aménagement du port de commerce sur la grève de Porstrein dans la seconde moitié des années 1860. Afin de faciliter l'accès aux polders nouvellement créés, le rempart est doublé des rampes toujours existantes et du fameux escalier à double volée (Jean Gabiiin !).
Les préoccupations défensives ne sont pas pour autant abandonnées, le génie y veille. Le haut de la rampe occidentale est fermée par une nouvelle porte de ville à double passage, précédée par des ponts-levis : la porte Impériale Nationale. Il n'en subsiste qu'un pilastre de son extrémité gauche, ainsi que le corps de garde casematé qui la flanquait et qui communique avec celui défendant le tunnel ferroviaire donnant accès à l'arsenal.
Quant à l'escalier (Michèle Morgaaan !), les militaires s'opposent à ce qu'il soit directement accolé au rempart et exigent que sa dernière volée puisse être amovible et soit barrée par une grille défensive dont les ancrages sont toujours visibles.
Cette demi-lune de l'enceinte de la fin du 17e siècle couvre la courtine dans laquelle est percée l'une des deux premières portes de ville, la porte de Landerneau. Celle-ci est doublée vers 1821 par une autre porte dite "Saint-Louis" (Restauration oblige).
La demi-lune traversée par les accès à ces deux portes (avancée de la porte de Landerneau, avancée de la porte Saint-Louis), subit le sort de la majeure partie de l'enceinte après la Seconde Guerre mondiale et est remblayée sous le square Mathon. Ses vestiges sont redécouverts au cours de travaux dans les années 1990 et mis en valeur.
Face gauche de la demi-lune et avancée de la porte Saint-Louis servant d'encadrement au plan en relief de l'enceinte de Brest vers 1830
Ces deux bastions constituent l'extrémité gauche de l'enceinte vaubanienne sur la rive orientale de la Penfeld. Rendus inutiles par la construction du front de l'Harteloire qui les double dans les années 1840, ils ne disparaissent pas pour autant. Certains éléments de leurs escarpes sont toujours visibles dans l'emprise de hôpital des Armées et de l'école des infirmiers de la Marine.
La jonction entre l'enceinte du 17e siècle et l'ouvrage du Bouguen construit dans les années 1770, longtemps restée en projet, est réalisée dans les années 1840 par le front de l'Harteloire. Il consiste en deux bastions reliés par une courtine casematée servant de caserne. L'ensemble est arasé après la Seconde Guerre mondiale pour la construction du lycée de l'Harteloire (dont le bâtiment principal repose sur les fondations de la caserne). Des portions de l'escarpe et de la contrescarpe du bastion de gauche de l'ouvrage subsistent entre le lycée et le stade Foch.
Immédiatement à proximité des restes du front de l'Harteloire, le débouché d'un tunnel (dit "tunnel Heurtebise") est visible en contrebas de la piscine Foch, non loin de la place Albert Ier. Ce tunnel construit vers 1890 permet à la voie ferrée départementale de quitter les fossés de l'enceinte qu'elle emprunte depuis la gare, sans créer de lacune dans le glacis. Un corps de garde flanque ce débouché côté campagne au moyen de créneaux de tir.
La jonction entre l'enceinte rive gauche et l'ouvrage du Bouguen passe par le vallon du Moulin à poudre ou de Kérinou. Les travaux des années 1840 consistent en la construction d'un mur crénelé barrant la vallée escarpée d'une falaise à l'autre. Une porte, dite "porte de Kérinou", est percée dans ce mur.
La porte et le mur ont souffert des combats de 1944. La première n'existe plus et du second ne subsistent que des moignons à chaque extrémité, dont une portion servant de mur à un garage automobile ! Une casemate allemande flanquant le passage est intégrée à l'autre portion, côté Bouguen. De part et d'autre, des escaliers souterrains servant à relier le Bouguen et l'Harteloire sont toujours visibles, bien que leurs débouchés supérieurs soient maintenant comblés. Le corps de garde a perdu sa toiture mais est relativement bien conservé. Il faut également mentionner l'existence d'une partie du bastion de droite du Bouguen et de son fossé, et du fossé creusé dans le roc côté Harteloire.
Le couronné du Bouguen, construit dans les années 1770 pour occuper un plateau dominant la Penfeld au nord de l'arsenal, est doté d'une porte monumentale flanquée de deux corps de garde. L'ensemble survit jusque dans les années 1970, quand les travaux du campus universitaire entraînent sa destruction. Le débouché côté ville seul est conservé et remonté à distance de son emplacement d'origine.
L'ouvrage à cornes de Quéliverzan est construit à partir des années 1770 pour relier la gauche de l'ouvrage du Bouguen à l'enceinte vaubanienne de la rive droite de la Penfeld. Sa partie droite a survécu et a été redécouverte au tournant des années 1990-2000. Face à elle, l'extrémité gauche du Bouguen comprenant le corps de garde surveillant la Penfeld, existe également toujours.
Le bastion Saint-Pierre fait partie de l'enceinte de la fin du 17e siècle sur la rive droite de la Penfeld. Comme les autres, il est arasé après la Seconde Guerre mondiale. Toutefois, quelques dizaines de mètres de son revêtement maçonné intérieur sont conservés entre les halles de Recouvrance et l'immeuble ayant pris la place de la caserne de Kervéguen.
Mise à jour (22 janvier 2024) :
A l'automne 2023, des travaux d'excavation ont eu lieu pour la construction d'un immeuble sur la parcelle comprise entre les rues de Maissin et Saint-Exupéry, non loin des tours de Quéliverzan. A cette occasion, toute la partie droite du bastion de Pontaniou (a.k.a. "bastion 38" puis "bastion 21"), appartenant à l'enceinte urbaine de la fin du 17e siècle a été mise à jour et... détruite. De l'extrémité droite de la face, du flanc droit et du début de la courtine attenante seuls sont restés visibles pendant quelques semaines des traces de maçonneries anciennes.
Superposition d'un plan de 1790 et d'une orthophotographie aérienne de 2021 (l'excavation est rehaussée en jaune)
P. Jadé
Sources :
Service historique de la Défense, département Armée de Terre, Vincennes, archives du Génie
Lécuillier Guillaume (dir.), Les Fortifications de la rade de Brest : défense d'une ville-arsenal, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « cahiers du patrimoine », 2011
Calvès Bruno, Brest secret et insolite, Paris, Les Beaux Jours, 2013
Annie Henwood et Le Bihan René, Brest souvenirs... souvenirs..., Éditions Palantines, 1996
Jadé Patrick, "Les casemates de la caserne Fautras : complément des fortifications réalisé au XIXe siècle", Les Cahiers de l'Iroise, n° 213, août-décembre 2012, p. 93-98
Id., "Trois souterrains vestiges des fortifications : les escaliers de la porte de la Brasserie et le tunnel ferroviaire de la place Albert Ier", Les Cahiers de l'Iroise, hors-série n° 1, septembre 2013, p. 27-33
Id., "L'Harteloire : sous le lycée, la caserne", Les Cahiers de l'Iroise, hors-série n° 5, septembre 2017, p. 113-119