30 Novembre 2019
Ou quand l'enfer est maçonné de bonnes intentions de restauration.
Selon la littérature (Nicolas Faucherre et al. 1998), le fort situé sur la hauteur de Pen Mané trouve son origine au cours de la guerre de Sept Ans (1756-1763) dans la nécessité d'occuper cette pointe qui s'avance dans la rade de Lorient, afin d'empêcher un ennemi de s'y installer pour bombarder la ville et l'arsenal. Les travaux commencés à l'été 1761 sont suspendus dès l'automne 1762. Une carte datée de 1770 conservée à la BNF mentionne la "hauteur de Pennemané sur laquelle on a commencé à travailler à des retranchements pour empêcher les ennemis de s'y loger". Les travaux auraient repris à l'occasion de la guerre d'Amérique (1778-1783). Une autre carte conservée à la BNF donne un état de la position en 1779.
Le fort de Pen Mané est un ouvrage à corne très aplati, constitué de deux demi-bastions reliés par une courtine, précédés d'un fossé creusé dans le roc dont les escarpes et les contrescarpes ne sont pas revêtues. Les parapets sont en terre retenue par des murets de pierres sèches ; ils culminent laborieusement à 4-5 mètres du fond du fossé. Le glacis n'est pas couronné par un chemin couvert continu, mais par trois places d'armes, une grande en capitale, accessible via une poterne et une caponnière, et deux autres plus petites situées aux extrémités du fossé. Hormis un petit casernement, la gorge de l'ouvrage, adossée à la rade, est totalement ouverte : le fort n'est pas un ouvrage de défense des côtes, mais bien un poste avancé de la défense terrestre de Lorient sur la rive gauche du Blavet et ne doit pas pouvoir être retourné contre les fortifications du port.
Le fort est complété par trois redoutes occupant les autres points hauts de la pointe de Pen Mané. L'ensemble tient davantage de la fortification temporaire que permanente, apparaissant constamment inachevé et à l'abandon entre deux périodes de travaux.
Que devient l'ouvrage au XIXe siècle (Oui. Dites-le. On veut savoir) ?
D'abord, pas grand chose. Sa restauration est prévue dans le projet général pour la place de Lorient pour l'exercice 1846, dans le cadre d'une réorganisation de la défense terrestre du port reposant sur la construction de nouveaux forts détachés en avant de l'enceinte et l'agrandissement de celle-ci.
Mais c'est paradoxalement dans un rôle pour lequel il n'a pas été prévu initialement, celui de batterie de côte, qu'il est finalement réhabilité au début des années 1860. La commission de défense des côtes de 1841 ne prévoit rien pour le fond de la rade de Lorient, estimant que les batteries accumulées de Gâvres et Loqueltas jusqu'à l'îlot Saint-Michel suffisent. Toutefois, en 1854, la crainte de tentatives de forcement par des navires à hélice conduit la marine à demander l'étude d'un renforcement de la défense de la rade intérieure. Suite à cette étude, la commission de défense des côtes décide lors de sa séance du 30 novembre 1855 la création de deux nouvelles batteries, une du côté de l'arsenal, l'autre sur le glacis ouest du fort de Pen Mané. Cette batterie armée de deux canons de 30 livres et trois obusiers de 22 cm figure donc dans le programme d'armement des côtes revu en 1859-1860.
Un premier projet incluant la construction d'un épaulement pour cinq pièces d'artillerie et la transformation en réduit défensif de l'ancien casernement du XVIIIe siècle inachevé, est expédié par le chef du génie en mars 1861. Le parapet et la plate-forme de la batterie sont réalisés dans le courant de l'année 1861. Après amendement par le Comité des fortifications lors de sa séance du 12 juillet 1861, le projet d'achèvement du corps de garde est de nouveau proposé pour l'exercice 1862-1863 en janvier 1862 et définitivement approuvé par le Comité le mois suivant. Le sous-sol du XVIIIe siècle est conservé pour les magasins à poudre et d'artillerie et est couvert d'une voûte. Le nouvel étage doit accueillir les 25 canonniers de la batterie, ainsi que les chambres du chef de poste et du gardien. Si les façades sont percées de grandes baies, les pignons quant à eux sont crénelés. Le toit est en simple charpente.
En 1874, la commission de défense des côtes supprime la batterie de Pen Mané, la défense maritime de Lorient se portant désormais bien en avant de la rade. A partir de 1908, le site abrite une station de TSF de la marine. Les Allemands l'utilisent comme station de démagnétisation.
En 1987, la mairie de Locmiquélic rachète le fort "avec pour ambition de préserver le plus beau fleuron de son patrimoine et de son histoire" [sic]. De fait, elle fait réaliser de 1994 à 2007 "un grand chantier de restauration" [re-sic] sous la forme d'un chantier d'insertion pour chômeurs. Le résultat de cette entreprise pleine de bonne volonté est une restauration particulièrement naïve, et en réalité totalement ratée. Les escarpes et les parapets ont été entièrement reconstruits en maçonnerie de type "muret-de-jardin-de-lotissement-pavillonnaire", y compris des parties qui en étaient dépourvues. Si l'emplacement et la forme générale de l'ouvrage du XVIIIe sont maintenant bien visibles, c'est au prix de sa dénaturation profonde. Bref, un bon exemple de ce qu'il ne faut pas faire... (voir ici l'état du fort avant et après sa restauration)
La batterie de 1861 a vu sa plate-forme rectifiée et les blocs de sous-sellette être déposés à l'envers quelques mètres plus loin. Seul le corps de garde a échappé à la restauration et apparaît conservé dans son état du sortir de la Seconde Guerre mondiale, sans son toit d'origine et flanqué d'une extension.
Site public, libre d'accès.
P. Jadé
Sources :
Service historique de la Défense, département Armée de Terre, Vincennes, archives du Génie et de l’État-major de l'Armée.
Bibliothèque nationale de France (Gallica).
Nicolas Faucherre, Philippe Prost et Alain Chazette (dir.), Les Fortifications du littoral, la Bretagne Sud, Chauray-Niort, 1998.