La fortification du XIXe siècle : connaître et partager
19 Mars 2020
Un ouvrage des années 1920, un peu de dehors de notre champ chronologique même en utilisant avec toute la mauvaise foi possible le concept de Long XIXe siècle (1780-1914). Mais baste ! C'est de la fortif' et c'est intéressant, donc on s'y intéresse.
A la veille de la Première Guerre mondiale, la position de la pointe Robert est encore armée d'après les programmes d'armement de 1876 et 1888 : deux canons de 32 cm en batterie casematée, quatre autres en batterie haute, quatre canons anti-torpilleurs de 47 mm dans l'ancienne batterie. Le programme d'armement de 1904, non encore appliqué en 1914, prévoit la suppression de la batterie de 47 mm, toutes les batteries de ce calibre devant être remplacées dans la lutte contre les torpilleurs par un groupe de batteries de 65 mm totalisant 24 pièces. Seules deux de ces batteries sont en cours d'installation quand la guerre éclate : au Dellec sur la rive nord du goulet, et au Stiff sur la rive sud.
Un nouveau programme d'armement est mis au point en 1913. L'auteur du rapport de présentation au Conseil supérieur de la Guerre en mai 1913 considère l'armement du goulet comme devant exclusivement servir à la lutte contre les bâtiments rapides (les cuirassés et les croiseurs devant être engagés au niveau du "vestibule", en amont du goulet) : "La défense du Goulet contre les destroyers est primordiale ; ces petits bâtiments, qu'on doit chercher à atteindre le plus tôt possible au moyen de batteries avancées, peuvent parfaitement n'être reconnus, la nuit, qu'au moment de leur passage dans les barrages lumineux de Créachmeur-Toulinguet ou de Toulbroch-Capucins et n'être efficacement battus qu'au moment où ils franchiront le Goulet à grande vitesse. On ne saurait trop multiplier la défense de ce passage contre les destroyers" (SHDAT, 7 N 1885, rapport de présentation au Conseil supérieur de la Guerre, commission mixte générale, 3 mai 1913). Dans un premier temps, cette défense du goulet contre les unités légères doit reposer sur 24 canons de 75 mm, devant à terme être remplacés par autant de canons de 100 mm récents (mle 1897) dans l'organisation définitive.
Pendant le conflit, les batteries de la pointe Robert n'échappent pas au désarmement général des ouvrages de côte au profit du front terrestre. La batterie haute de 32 cm est désarmée fin août 1915, celle sous casemates en septembre. Les canons de 47 mm sont enlevés avant février 1916. Trois canons de 32 cm de modèle plus ancien venant de la pointe des Espagnols sont réinstallés dans la batterie haute fin 1915 avant d'être rayés en décembre 1917. Au sortir de la guerre, il n'y a donc plus aucune pièce d'artillerie active à la pointe Robert.
La première mention de la batterie de quatre canons de 75 mm modèle 1908 du fort Robert dans notre documentation date de décembre 1926. Conçues comme des pièces anti-torpilleurs pour navires, ces canons semblent être affectés au même rôle dans le goulet de Brest. En 1929, la batterie est classée parmi l'artillerie légère du front de mer de Brest ; en 1933, elle fait partie des batteries de complément. C'est la seule batterie de 75 mm de ce modèle installée à Brest. Elle est toujours là en juin 1940 quand les Allemands arrivent. Ceux-ci réutilisent d'abord la batterie telle quelle (et la prennent en photo), avant de démonter les pièces en 1943 pour les attribuer à la batterie de Toulbroc'h. Depuis la fin de la guerre, les emplacements de pièces sont progressivement engloutis par la végétation.
C'est que l'organisation de la batterie est très simple. Elle est implantée sur les devants de l'ancienne batterie de 32 cm de 1888 - dont elle réutilise peut-être les infrastructures (soutes, abris). Les pièces sous masque de protection sont disposées sur des emplacements cimentés distants les uns des autres d'environ 30 mètres. En arrière de chaque emplacement s'ouvrent deux fosses maçonnées accessibles chacune par un escalier, au fond desquelles se trouve une niche. L'emplacement le plus à l'ouest comporte également une niche plus en arrière, creusée dans le parapet de l'ancienne batterie de 100 mm auquel il est adossé.
Les emplacements des pièces laissent maintenant place à des fosses peu profondes, probablement dues au désarmement ou au ferraillage des pièces. Le poste de commandement de la batterie, similaire aux autres de la même période dans la région, est installé sur un des anciens abris en béton de la batterie de 32 cm.
P. Jadé
Sources :
Service historique de la Défense, département Armée de Terre, Vincennes, archives de l’État-major de l'Armée.
Service historique de la Défense, département Marine, Vincennes.
Alain Chazette et al., Patrimoine fortifié de la presqu'île de Crozon, batteries de côtes, batteries anti-aériennes, 1880-1914, Vertou, Éditions Histoire et Fortifications, 2013 (clichés de la batterie p.10 et 29).
Cliché de l'emplacement de la pièce 1 après son démontage (archives municipales de Brest)