La fortification du XIXe siècle : connaître et partager
18 Janvier 2022
Une batterie de côte de la fin du XIXe siècle en pleine ville. Du moins, ce qu'il en reste.
Jusqu'aux années 1870, l'armement de côte défendant l'embouchure de la Penfeld à Brest est concentré, rive droite, dans le secteur de la Pointe, et rive gauche sur l'extrémité du piton barré par le château (batteries de La Rose et du Parc-au-Duc). Le front est de ce dernier est protégé par un ouvrage avancé dit tenaille dont l'origine remonte au XVIe siècle mais qui a été largement remanié au XVIIe.
Ouvrages extérieurs du château de Brest en 1772, par Dajot (celui du cours). Le futur emplacement de la batterie de l'Avancée du château est au niveau des pièces "19" et "X" (© Service historique de la Défense)
Quand la commission de défense des côtes réorganise la défense maritime du port de Brest après la guerre de 1870, elle prévoit deux batteries neuves sur la rive gauche - la rade-abri n'existe pas encore -, destinées à accueillir des pièces de la nouvelle artillerie lourde de côte (canons de 27 et 32 cm). Ces deux batteries sont construites en 1877-1878. L'une est la batterie dite du port de commerce (disparue, actuellement à la naissance du quai Malbert), l'autre celle dite de l'Avancée du château. Leur magasin à poudre commun, situé au fond du fossé du château devant la tour Madeleine, est achevé en 1879. L'armement finalement mis en place dans les deux batteries consiste pour chacune en trois canons de 27 cm modèle 1870 M, sur affûts modèle 1876-T-83 à pivot avant.
Les tirs d'essai de ces grosses pièces très proches des habitations ont laissé des traces dans les archives de la ville de Brest sous la forme de réclamations de riverains de la place du Château et de Porstrein se plaignant des dégâts occasionnés par les ondes de choc des départs de coups sur leur mobilier et leurs huisseries. Les autorités conseillent d'ailleurs de laisser les fenêtres ouvertes et de décrocher les tableaux pendant les séances de tir. La marine, dont dépend la batterie du château, indemnise régulièrement (mais insuffisamment et de mauvaise grâce de l'avis des civils) des victimes de bris de glace.
Comme sa consœur du port de commerce, la batterie du l'Avancée du château est organisée selon les normes en vigueur dans les années 1870-1880. Les trois pièces sont installées derrière un épais parapet en terre sur une plate-forme bétonnée délimitée par des murs de genouillère en maçonnerie. Chaque emplacement est encadré par de hautes traverses terrassées sous certaines desquelles sont aménagés des abris voûtés pour les munitions ou les servants. La batterie de l'Avancée du château a ainsi quatre traverses dont trois creuses.
Les rampes du port de commerce et les deux batteries reconnaissables à leurs traverses (coll. part.)
Rendues moins pertinentes par la construction des digues de la rade-abri dans les années 1880 et le renforcement de la défense du goulet et de son vestibule, les deux batteries lourdes de la rive gauche de l'avant-port, par ailleurs vieillissantes, sont victimes des réductions d'armement opérées dans les années 1900 pour économiser du personnel. Désarmée, la batterie de l'Avancée du château existe toujours durant l'entre-deux guerres. Recouverte d'un important terrassement pendant la Seconde Guerre mondiale, elle est arasée lors des travaux de la reconstruction pour laisser place à un terre-plein arboré. La batterie du port de commerce et le magasin à poudre n'existent plus non plus.
Les vestiges de la batterie de l'Avancée du château, ainsi que ceux de l'ouvrage 19 de la tenaille - qu'elle recoupe -, sont redécouverts au début des années 2000 lors de l'aménagement du jardin de l'Académie de Marine. Il reste en réalité peu de choses de la batterie : le socle de la plate-forme la plus à l'ouest, les fondations de son mur de genouillère et un morceau de piédroit de la voûte de l'abri-traverse attenant. Ce dernier est identifiable grâce à la présence au sein de la maçonnerie d'une couche de bitume d'étanchéité concordant avec les données archivistiques.
Vestiges de la tenaille (en orange) et de la batterie de l'Avancée du château dans le jardin de l'Académie de Marine (© Géoportail)
Au premier plan dans l'herbe : plate-forme de pièce d'artillerie (au second plan : membres de "1846" mouillés par une tempête de janvier)
Elévation, coupe et plan de la batterie du port de commerce permettant l'identification des éléments ci-dessus
P. Jadé
Remerciements à D. Cadiou
Sources :
Service historique de la Défense, département Armée de Terre, Vincennes, archives de l’État-major de l'Armée.
Service historique de la Défense, département Armée de Terre, Vincennes, archives de l'Artillerie.
Service historique de la Défense, département Marine, Brest.
Archives municipales de Brest.