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Association "1846"

La fortification du XIXe siècle : connaître et partager

Les chemins de fer départementaux du Finistère dans les remparts de Brest (1893-1944)

Il en avait été rapidement question dans notre article sur les vestiges de l'enceinte de Brest : focus sur le lien entre celle-ci et le réseau de chemin de fer départemental (car oui, il y en a un).

A l'époque où des milliers de kilomètres de lignes de chemin de fer d'intérêt local sillonnèrent la France, Brest eut aussi une ligne de "petits trains" (lignes à voie unique avec "voie métrique" - écartement d'1 m.), ceci par opposition aux "grands trains", c'est à dire les lignes des réseaux d'intérêt national, qui avaient une double voie "normale" dont l'écartement est de 1,435 m. La ligne de Paris à Brest avait été achevée en 1865, et c'est dans la dizaine d'années qui suivirent que l'on commença à penser à la création et au développement des lignes d'intérêt local, afin de dynamiser l'économie de régions jusque-là isolées.

Le réseau nord-finistérien (d'après Ludovic Claudel, Wikimedia Commons)

Le réseau nord-finistérien (d'après Ludovic Claudel, Wikimedia Commons)

Ainsi la ligne de Brest à Ploudalmézeau fut-elle ouverte en 1893, et son exploitation confiée aux Chemins de fer départementaux du Finistère (C.F.D.F.). Elle avait pour but de désenclaver la région côtière au nord de Brest. Plus tard, des bifurcations desservirent, entre autres : Plabennec, Lannilis d'une part, et Lesneven puis Saint-Pol-de-Léon (déjà desservie par les grands trains depuis Morlaix) d'autre part. Ces petits trains connurent un succès rapide, et l'âge d'or perdura jusqu'à la fin des années 1920, quand l'arrivée progressive des voitures, cars et camions les condamna irrémédiablement, à plus ou moins brève échéance. Les premières lignes furent fermées au début des années 1930, certaines d'entre elles fonctionnant encore jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, durant laquelle quelques tronçons non encore déposés furent localement réutilisés par l'occupant allemand.

La ligne de Brest à Ploudalmézeau fut maintenue en service complet au moins jusqu'en 1934. Les dernières lignes en sursis (ou du moins ce qu'il en subsistait après la Seconde Guerre mondiale) furent fermées en 1946.

A Brest, ville déjà coincée derrière ses remparts, on eut l'idée d'utiliser la seule place disponible pour faire circuler le train : les fossés en avant des remparts. D'autant que les militaires s'opposaient à toute ouverture de tranchée à ciel ouvert sur les glacis afin de ne pas affaiblir ceux-ci. Mais, bénéficiaires également de la création d'un réseau ferré départemental facilitant le transport de troupes sur les points menacés du littoral des environs de la place de Brest, ils acceptèrent que la ligne emprunte les fossés.

Projets de tracés de la ligne départementale en 1889 (© Archives municipales de Brest)

Projets de tracés de la ligne départementale en 1889 (© Archives municipales de Brest)

Tracé final (surligné en rouge) de la ligne départementale au départ de Brest sur un plan du génie militaire de 1897 (© Service historique de la Défense)

Tracé final (surligné en rouge) de la ligne départementale au départ de Brest sur un plan du génie militaire de 1897 (© Service historique de la Défense)

Le trajet qui nous intéresse ici n'est pas long : 1,5 km entre la gare des C.F.D.F. et la sortie de la galerie de Heurtebise. Partant de la gare des C.F.D.F., la voie longeait l'avenue de l'Amiral Réveillère, puis à l'avancée de la porte Foy, descendait dans le fossé pour ne quitter celui-ci qu'au sortir de la galerie de Heurtebise ; auparavant elle était passée dans la courte galerie de la porte de Landerneau.

Orthophotographie aérienne de 1919 (© Brest Métropole)

Orthophotographie aérienne de 1919 (© Brest Métropole)

Dans la nomenclature établie par l'Inventaire des Tunnels Ferroviaires de France, ces deux passages couverts sont des "faux tunnels" : ce ne sont pas des tunnels de percement au sens traditionnel du terme, mais des passages recouverts après la pose de la ligne. C'est à ce titre qu'ils sont désignés "galerie".

Certains plans n'indiquent pas clairement la galerie de Heurtebise, alors qu'ils indiquent bien que la voie passe dans la galerie de la Porte de Landerneau : survivance d'un premier plan à l'époque où la galerie de Heutebise ne recouvrait pas encore le chemin de fer ? Une source indique d'ailleurs que celle-ci n'aurait été construite qu'en 1896, soit trois ans après la mise en service de la ligne C.F.D.F.

A noter que cette voie et ces galeries sont sans rapport avec les 9 tunnels pour la voie desservant l'arsenal autour de la Penfeld, qui sont des vrais tunnels au gabarit de la voie normale, cette voie étant raccordée au réseau national, et non aux C.F.D.F.

La gare des Chemins de fer départementaux du Finistère était un extraordinaire bâtiment dont l'architecture et la décoration tentaient de rivaliser avec celles de la gare des Chemins de Fer de l'Ouest voisine, et avec laquelle elle avait des installations de transbordement. Ayant survécu à la Seconde Guerre mondiale, elle fut détruite dans les années 1950 pour permettre la construction de la gare routière.

La façade de la gare des CFDF en carte postale, ca. 1900 (© Archives municipales de Brest)

La façade de la gare des CFDF en carte postale, ca. 1900 (© Archives municipales de Brest)

Convoi s'engageant dans le plan incliné qui permettait de descendre dans les fossés, au niveau de la porte Foy (coll. Archives municipales de Brest)

Convoi s'engageant dans le plan incliné qui permettait de descendre dans les fossés, au niveau de la porte Foy (coll. Archives municipales de Brest)

1944 : wagons détruits sur la voie avec la porte Foy en arrière-plan (coll. Archives municipales de Brest)

1944 : wagons détruits sur la voie avec la porte Foy en arrière-plan (coll. Archives municipales de Brest)

La voie au fond du fossé vue depuis la porte de Landerneau (coll. O. Doher)

La voie au fond du fossé vue depuis la porte de Landerneau (coll. O. Doher)

Coupe de la place des portes et de la galerie ferroviaire de la porte de Landerneau (© Archives municipales de Brest)

Coupe de la place des portes et de la galerie ferroviaire de la porte de Landerneau (© Archives municipales de Brest)

Sortie des fossés par la galerie de Heurtebise, orthophotographie de 1946 (© IGN)

Sortie des fossés par la galerie de Heurtebise, orthophotographie de 1946 (© IGN)

C'est en empruntant la galerie de Heurtebise, longue de 90 mètres, que le train sort du fossé. Elle existe toujours aujourd'hui (2022), mais n'est pas libre d'accès. Bien que l'intérieur donne l'impression d'être dans un vrai tunnel, selon l'ITFF ce n'en est pas un : puisque à cet endroit, la ligne quitte le fossé, la contrescarpe de celui-ci a du être éventrée pour poser la voie dans une tranchée qui a été ensuite maçonnée et recouverte. C'est encore une exigence des militaires pour ne pas créer de brèche dans le glacis et la contrescarpe de l'enceinte.

On note qu'une voûte de plus grand gabarit a été rajoutée de chaque côté de la galerie originelle (à sa construction, ou ultérieurement?). La sortie nord permet de voir que cet agrandissement a servi à loger un corps de garde pourvu de créneaux de défense en façade et dans la galerie elle-même (créneaux aujourd'hui murés). On peut imaginer que celui de la sortie sud a été réalisé dans le même but défensif ; mais celle-ci n'est plus visitable aujourd'hui pour le confirmer, puisque le fossé des fortifications a été comblé.

L'ouvrage a été utilisé par les Allemands durant la seconde guerre mondiale, qui ont creusé une galerie parallèle à la galerie ferroviaire, mais à un niveau légèrement inférieur ; elle est accessible par la galerie originelle, et rejoint le corps de garde côté nord (impossible de savoir quelle est sa disposition à l'extrémité sud).

Evocation en écorché du tunnel de Heurtebise et de la galerie allemande, par Lionel Duigou

Evocation en écorché du tunnel de Heurtebise et de la galerie allemande, par Lionel Duigou

Vue actuelle du débouché du tunnel de Heurtebise côté campagne (cliché O. Doher)

Vue actuelle du débouché du tunnel de Heurtebise côté campagne (cliché O. Doher)

Détail des créneaux du corps de garde (cliché O. Doher)

Détail des créneaux du corps de garde (cliché O. Doher)

Vue des créneaux du corps de garde donnant dans l'entrée du tunnel (cliché O. Doher)

Vue des créneaux du corps de garde donnant dans l'entrée du tunnel (cliché O. Doher)

O. Doher

Sources :

Archives municipales de Brest.

Alain de Dieuleveult, Finistère en Petits Trains, Editions Cénomane, le Mans / La Vie du Rail, Paris,1998.

Patrick Jadé, "Trois souterrains vestiges des fortifications : les escaliers de la porte de la Brasserie et le tunnel ferroviaire de la place Albert Ier", Les Cahiers de l'Iroise, hors-série n° 1, septembre 2013, p. 27-33.

Lécuillier Guillaume (dir.), Les Fortifications de la rade de Brest : défense d'une ville-arsenal, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « cahiers du patrimoine », 2011.

Calvès Bruno, Brest secret et insolite, Paris, Les Beaux Jours, 2013.

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