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Association "1846"

La fortification du XIXe siècle : connaître et partager

Coup de projecteur sur le goulet de Brest : Les installations photo-électriques de Roscanvel dans l’entre-deux-guerres

Usine électrique du fort Robert – État août 2021 © Julien Hily

Usine électrique du fort Robert – État août 2021 © Julien Hily

Introduction


À la fin du XIXe siècle, les projecteurs électriques font leur apparition dans la défense des côtes françaises dans les différents ports de guerre pour les utilisations nocturnes. On en retrouve ainsi un certain nombre en position le long du littoral finistérien à la veille de la Première Guerre mondiale. Les réalisations s’échelonnent dans le temps : pour le cas de Brest, une première phase de travaux est ainsi observable, entre autres, dans le début des années 1890 et une deuxième aux alentours de 1910. Chaque nouvelle construction dédiée aux projecteurs donne lieu à des infrastructures conséquentes, comprenant de manière quasi-systématique une usine électrique, un abri de jour et un abri de combat pour le projecteur (parfois confondu avec l’abri de jour) et un poste de commande à distance. Si leur disposition varie légèrement dans le temps, ces différentes entités sont généralement implantées, suivant leur usage, au ras de l’eau pour les abris de combat et de jour, surplombés par le poste de commande tandis que l’usine électrique est placée en retrait, de façon à être abritée autant que possible par le relief naturel du site. La production d’électricité se fait d’abord au moyen d’une machine à vapeur – remplacée par la suite par un moteur à combustion – entrainant une génératrice de courant continu. Cette organisation des bâtiments dédiés à ce qui est appelé « ensemble d’éclairage » durant l’entre-deux-guerres se maintiendra sans grandes variations jusqu’à l’orée de la Seconde Guerre mondiale.
Partant, ces équipements restent en service durant l’entre-deux-guerres, l’occasion pour nous d’étudier leur usage ininterrompu ainsi que les améliorations apportées aux infrastructures au cours de cette période. C’est dans cette perspective que les sites de la pointe des Espagnols, du fort Robert, de la batterie de Cornouaille ainsi que celui de l’îlot des Capucins, tous situés sur la rive sud du goulet de Brest et représentatifs de ces transformations, ont été étudiés in situ par l’Association "1846" en mars 2023. L’occasion pour nous de nous interroger sur les aménagements techniques dont ils ont fait l’objet entre 1918 et 1940 et d’en proposer une analyse comparée, à la lumière de documents nouvellement mis au jour dans les archives du Service historique de la Défense.


La pointe des Espagnols


En 1914, la pointe des Espagnols dispose de deux projecteurs en place, un de 60 cm, l’autre de 90 cm. Situés sur la partie ouest de la batterie basse, à proximité du fossé du retranchement, ils sont disposés de part et d’autre de ce dernier, ainsi que le montrent des plans de 1913 conservés à Vincennes, au Service historique de la Défense (SHD). Cette installation date du début des années 1890, d’où une alimentation en énergie électrique encore pourvue par un groupe à vapeur. En effet, si les constructions nouvelles des années 1910 ont été majoritairement équipées dès leur mise en service de moteurs à combustion interne, les réalisations plus anciennes ont conservé leurs technologies d’origine avec chaudières à vapeur.

Figure 1 : Plan de la pointe des Espagnols, 1913. Les projecteurs correspondent aux annotations « 60 FT » et « 90 FT » pour « feux de tir » © Service historique de la Défense

Figure 1 : Plan de la pointe des Espagnols, 1913. Les projecteurs correspondent aux annotations « 60 FT » et « 90 FT » pour « feux de tir » © Service historique de la Défense

Une photographie légèrement plus tardive, prise de la mer en 1918, montre en outre une construction légère, dite « cabane de projecteur », à un emplacement non indiqué sur les plans (figure 1). Il s’agit, à notre connaissance, du premier cliché attestant de la présence d’un abri à projecteur sur la partie nord-est de la pointe.

Figure 2 : Pointe des Espagnols en 1918 © ECPAD

Figure 2 : Pointe des Espagnols en 1918 © ECPAD

En 1926, l’état des lieux réalisé par le service de l’inspection de la Marine relève que le site dispose toujours d’un projecteur de 60 cm et d’un projecteur de 90 cm, fabriqués respectivement par les entreprises Bréguet et Sautter-Harlé. Tous deux sont alimentés par un groupe à vapeur de 20 chevaux, soit un matériel de faible efficacité : il est alors déjà courant de disposer de projecteurs de 150 cm alimentés par des moteurs à combustion d’environ 30 chevaux. De plus, la mise en route d’un groupe à vapeur nécessite près de trois heures là où les derniers équipements de production d’énergie dont la Marine dispose sur d’autres sites brestois sont d’une mise en route quasi instantanée.
De sorte qu’en 1928, le projecteur de 60 cm est remplacé par un plus puissant de 90 cm, d’une modernité toutefois relative. Les différentes notes techniques décrivant le matériel à mettre en place sur les côtes préconisent de manière systématique l’emploi de projecteurs de 150 cm. Le choix d’employer une lampe de 90 cm, motivé par des raisons économiques, s’explique principalement par la situation géographique du poste dans un goulet mais semble également confirmer la position d’arrière-garde de la pointe des Espagnols dans le front de mer de Brest. Le rapport d’inspection préconise en outre le remplacement du groupe à vapeur : d’une technologie trop ancienne, ce dernier est très usagé et manque de puissance pour alimenter les deux projecteurs. Ce renouvellement a été effectué par les Constructions Navales au premier trimestre de l’année 1929, avec la récupération du groupe du poste de l’îlot du Diable, plus moderne et alors récemment déclassé.
Une fois ce matériel en place, les infrastructures existantes vont se trouver insuffisantes et en mauvais état, de sorte que les projecteurs sont sur site mais n’ont pas d’emplacement de combat et que le moteur nouvellement installé n’a pu être essayé. Un certain nombre de travaux immobiliers sont demandés en 1930 afin d’y remédier et d’améliorer les ouvrages.
En ce qui concerne le projecteur Est (Figure 3), la Direction des travaux maritimes (DTM) prévoit de faire construire un abri de jour, un abri de combat – en remplacement d’une construction légère en bois – ainsi qu’une voie ferrée reliant les deux abris. Il ne nous a pas semblé reconnaître sur place les traces d’un quelconque abri de combat ; la voie métrique qui permettait de déplacer le projecteur de 90 cm jusqu’à son abri de jour a néanmoins pu être repérée in situ. Les dimensions de la dalle bétonnée prévue pour la position de combat du projecteur correspondent en tout cas à ce que prévoyait le projet de 1930 (Figure 4). Nous ne pouvons pas être catégorique pour autant car il faudrait dégager entièrement la plateforme pour être certain de l’absence de fondations d’un quelconque abri.
L’abri de jour, quant à lui – ou tout du moins ce qu’il en reste – a pu être étudié et semble correspondre aux plans de ce même projet. Comme l’indique le cahier des charges associé aux plans de détails, il est réalisé en parpaings de mâchefer pour les murs ; quelques éléments bétonnés sont présents, à l’instar du linteau. Il semblerait que cet abri ait subi des éboulements de roche du fait de sa position adossée à la falaise, ce qui rend sa lecture complexe (Figure 5).

Figure 3 : Vue générale des travaux demandés pour la partie Est © Service historique de la Défense

Figure 3 : Vue générale des travaux demandés pour la partie Est © Service historique de la Défense

Figure 4 : Plateforme de combat pour le projecteur Est – État mars 2023 © Julien Hily

Figure 4 : Plateforme de combat pour le projecteur Est – État mars 2023 © Julien Hily

Figure 5 : L'abri de jour ruiniforme du projecteur Est – État mars 2023 © Julien Hily

Figure 5 : L'abri de jour ruiniforme du projecteur Est – État mars 2023 © Julien Hily

Le deuxième élément que l’on peut distinguer sur place se trouve être ce qui est mentionné comme la soute à pétrole (Figure 3). La DTM prévoit de l’installer dans un bâtiment existant à proximité de la citerne (prenant elle-même place dans un ancien magasin à poudre). L’intérieur du bâtiment présente des caractéristiques surprenantes puisqu’un élément s’apparente à une cheminée. Toutefois, cet aménagement est difficilement datable (il s’agit peut-être d’une modification ultérieure sans lien avec les usages premiers) et paraît peu probable dans une soute à pétrole. Ce qui était préconisé pour la remise en état du bâtiment, à savoir la modification des ouvertures, la réfection des enduits, la suppression des planchers et la réalisation d’un dallage semble avoir été effectué.
L’emplacement qui recevait les machines pour l’alimentation électrique, situé à proximité immédiate du magasin à carburant ne nous permet pas d’effectuer des relevés détaillés en raison de l’abondante végétation. À la pointe des Espagnols, il n’existait visiblement pas de bâtiment en maçonnerie pour abriter l’usine électrique, seule une construction légère se trouvait sur place et servait à protéger le matériel. Les socles bétonnés qui recevaient les machines nous permettent toutefois d’observer une disposition très semblable à celle de l’usine de l’îlot du Diable. Enfin, l’étude du terrain a également révélé les vestiges d’une cuve en tôle rivetée à proximité, sur la dalle en béton de l’usine. Compte tenu de son état de dégradation avancé, son usage exact est sujet à conjectures : servait-elle à stocker du pétrole ou de l’eau ? Les archives font parfois mention de « caisses à eau » pour le fonctionnement des machines à vapeur, en complément des citernes maçonnées. Notons également que le carburant est principalement stocké et transporté dans des bidons de taille plus réduite et facilement déplaçables. La question reste néanmoins ouverte.

Figure 6 : Intérieur de la soute à pétrole. À gauche, la cavité murale pourrait être l’emplacement d’une cheminée (?) – État mars 2023 © Julien Hily

Figure 6 : Intérieur de la soute à pétrole. À gauche, la cavité murale pourrait être l’emplacement d’une cheminée (?) – État mars 2023 © Julien Hily

Intéressons-nous maintenant au projecteur Ouest (Figure 7) ; en 1930, l’abri de combat en bois existant est à remplacer. Une passerelle en béton enjambant le fossé du retranchement des années 1850 et une voie ferrée permettant de relier l’abri de combat et l’abri de jour existant sont prévus. Ce dernier a été construit antérieurement à la Première Guerre mondiale ; il s’agit d’une excavation dans la falaise, située à proximité du fossé, qui abritait initialement deux projecteurs. Avec le nouveau plan d’éclairage établi en 1927, l’abri est conservé mais il ne reçoit désormais plus qu’un seul projecteur. Il suffit de suivre les rails qui sortent de l’abri de jour pour trouver l’abri de combat, situé au-delà de la passerelle bétonnée (prévue en 1930), contemporaine des autres modifications.
L’abri de combat a été édifié en lieu et place de la cabane légère en bois. Tout comme l’abri de jour de la partie Est, il est fait de parpaings de mâchefer. Ce choix singulier de matériaux fait écho à l’abri de projecteur de DCA situé sur la batterie haute – dernièrement arasé à l’occasion des travaux d’aménagements touristiques menés au premier semestre 2023. Ce dernier a été construit quelques années auparavant, à l’été 1923.

Figure 7 : Vue générale des travaux demandés pour la partie Ouest © Service historique de la Défense

Figure 7 : Vue générale des travaux demandés pour la partie Ouest © Service historique de la Défense

Figure 8 : Vue générale de l'abri de combat Ouest depuis l'Ouest – État mars 2023 © Julien Hily

Figure 8 : Vue générale de l'abri de combat Ouest depuis l'Ouest – État mars 2023 © Julien Hily

Pointe Robert


Tout comme à la pointe des Espagnols, le fort Robert, situé plus à l’ouest, est équipé à l’aube de la Première Guerre mondiale de deux projecteurs : l’un de 60 cm du fabricant Barbier, Bénard et Turenne (BBT), l’autre de 90 cm de la marque Sautter-Harlé. À l’instar de la Pointe des Espagnols, l’ensemble est alimenté en énergie par une machine à vapeur de 20 chevaux installée dans l’usine électrique (voir photo d’illustration en tête d’article). En 1928, un rapport d’inspection sur les installations photo-électriques indique que le matériel est indisponible à la suite d’« avaries » sur la machine à vapeur, « en très mauvais état ». Le remplacement du groupe à vapeur Chaligny est demandé et probablement effectué, comme pour les autres sites du front de mer de Brest, dans le premier semestre de l’année 1929, en récupérant le groupe plus récent du poste déclassé du Corbeau. C’est un moteur à pétrole Gnome qui vient ainsi remplacer la vieillissante chaudière à vapeur.
Au début des années 1930, le fort Robert ne compte plus qu’un seul projecteur, celui orienté vers l’Ouest, d’un diamètre de 90 cm. Le second a été supprimé dans le nouveau plan d’éclairage de 1927 ; ses infrastructures se trouvaient par ailleurs en mauvais état d’après le rapport d’inspection de 1926.

Figure 9 : Travaux à réaliser à la pointe Robert © Service historique de la Défense

Figure 9 : Travaux à réaliser à la pointe Robert © Service historique de la Défense

Si l’usine a été sommairement modifiée pour recevoir les nouvelles machines, quelques travaux plus conséquents sont néanmoins demandés par le bataillon de côte. Ils sont prévus dans le même projet de 1930 qui réagence la pointe des Espagnols. Le site du fort Robert (Figure 9) doit notamment recevoir une soute à pétrole, le poste photo-électrique n’étant jusqu’alors équipé que d’un simple parc à charbon pour alimenter la chaudière à vapeur.
Nos relevés et observations sur place se sont orientés principalement sur les ancrages de machines au sol de l’usine électrique afin de pouvoir, dans un premier temps, certifier qu’ils ne correspondent plus à une installation de type machine à vapeur. Nous pouvons ainsi constater sur la dalle des traces de rebouchage faisant disparaitre l’implantation initiale des appareils. Malgré tout, il a été possible de dessiner une représentation relativement fidèle (Figure 10) des installations dans l’abri-usine, il s’agit d’une première ébauche qu’il conviendra d’étoffer avec d’éventuels futurs relevés terrain.
La soute à pétrole est quant à elle trompeuse car elle présente toutes les caractéristiques de la première phase de travaux du début des années 1890 : en effet, l’entourage de porte en béton ressemble particulièrement à celui des soutes bétonnées de la batterie haute de 32 cm, construite à la fin du XIXe siècle (Figure 13). Cette continuité esthétique interroge : est-elle motivée par une quelconque facilité de réalisation ou par la volonté de construire sans dénaturer un site militaire préexistant ?

Figure 10 : Relevés des emplacements dans l'usine électrique du fort Robert © Julien Hily, 2023.

Figure 10 : Relevés des emplacements dans l'usine électrique du fort Robert © Julien Hily, 2023.

Figure 11 : Vue générale de l'usine du fort Robert. Celle-ci paraît démesurée pour recevoir ses nouveaux équipements, d’un encombrement plus restreint – État mars 2023 © Julien Hily

Figure 11 : Vue générale de l'usine du fort Robert. Celle-ci paraît démesurée pour recevoir ses nouveaux équipements, d’un encombrement plus restreint – État mars 2023 © Julien Hily

Figure 12 : Le Président a accepté, dans sa grande mansuétude, de repositionner pour nous un reste de rambarde de sécurité – mars 2023 © Julien Hily

Figure 12 : Le Président a accepté, dans sa grande mansuétude, de repositionner pour nous un reste de rambarde de sécurité – mars 2023 © Julien Hily

Il y avait au sol les vestiges d’une rambarde, nous avons trouvé des tubes noyés dans la dalle qui permettaient de les accueillir. La transmission de puissance entre le moteur et la dynamo se faisant par courroie, il était nécessaire de protéger l’accès aux organes en mouvement tout en facilitant le démontage des rambardes en cas de maintenance. Cette mise en sécurité des machines se faisait de manière systématique, ainsi que nous avons pu le constater sur d’autres sites tels que Kerviniou ou le Portzic, conservant des emplacements de garde-corps au sol.

Figure 13 : Vue extérieure de la soute à pétrole établie sous la falaise – État mars 2023 © Julien Hily

Figure 13 : Vue extérieure de la soute à pétrole établie sous la falaise – État mars 2023 © Julien Hily

Batterie de Cornouaille


Sous la plateforme de la batterie basse de Cornouaille, se trouve en place en 1914 un projecteur de 90 cm. En 1926, on retrouve ce matériel, soit un projecteur Bréguet alimenté par une machine à vapeur Chaligny. Cette dernière est installée dans l’usine électrique située à l’est du site et à mi-hauteur de la falaise. Le groupe à vapeur semble être dans un état de vétusté assez avancé, à tel point que le poste est déclaré indisponible en 1928. De même, il est signalé que la toiture n’était pas étanche et laissait s’infiltrer l’eau, ce qui dégradait le matériel de production d’électricité Ce problème était en réalité assez récurrent et se rencontrait sur toutes les usines voûtées en maçonnerie construites selon le même modèle.
Pour répondre au nouveau plan d’éclairage de 1927, le bataillon de côte propose de remplacer la machine à vapeur par un moteur servant autrefois à un projecteur lié aux chenaux de sécurité pour les accès au port de Brest (l’ancêtre du dispositif REP, Repères d’Entrée de Port). Celui-ci est installé à proximité immédiate, dans la même usine et n’est alors plus employé. Cette proposition est adoptée par le commandement du front de mer ainsi que par la préfecture maritime ; elle est rendue effective au cours du premier semestre de l’année 1929.

Figure 14 : Travaux à réaliser pour Cornouaille en 1930 © Service historique de la Défense

Figure 14 : Travaux à réaliser pour Cornouaille en 1930 © Service historique de la Défense

Quant aux travaux d’amélioration demandés parallèlement à la DTM, ils concernent principalement l’ajout d’une soute à carburant accolée à l’usine en remplacement d’un parc à charbon (Figure 14). Une partie de l’ancien parc à charbon est néanmoins conservée pour servir de base à la construction de la soute à pétrole (Figure 16). Le pan coupé de cette ancienne structure en forme d’appentis est d’ailleurs encore visible aujourd’hui.

Figure 15 : Intérieur du magasin à pétrole donnant directement sur l’usine – État mars 2023 © Julien Hily

Figure 15 : Intérieur du magasin à pétrole donnant directement sur l’usine – État mars 2023 © Julien Hily

Figure 16 : La partie gauche du mur correspond à l'ancien parc à charbon sous appentis – État mars 2023 © Julien Hily

Figure 16 : La partie gauche du mur correspond à l'ancien parc à charbon sous appentis – État mars 2023 © Julien Hily

De toutes celles encore existantes, l’usine électrique de Cornouaille n’est pas la mieux conservée : en partie ruinée (Figure 17), elle donne à voir cependant une intéressante sédimentation architecturale. Il est probable qu’une partie des aménagements ait été réalisée ultérieurement, comme le percement de fenêtres ou bien la couverture de la cour attenante au magasin à pétrole. Il est ainsi possible de repérer bon nombre de traces telles que des emplacements de poutres ou bien des goujons scellés dans les murs sur les murs de l’abri-usine. Il n’est pas impossible que les Allemands aient investi ce site pendant l’Occupation du fait de sa proximité immédiate avec le poste lance-torpilles installé en contrebas. En effet, la disposition de certains goujons donne un entraxe correspondant aux supports de lits de bunkers. Cette hypothèse demanderait à être vérifiée par la consultation des archives allemandes.

Figure 17 : Vue générale de l'usine électrique de Cornouaille en partie ruinée – État mars 2023 © Julien Hily

Figure 17 : Vue générale de l'usine électrique de Cornouaille en partie ruinée – État mars 2023 © Julien Hily

Sur ce site, il est difficile – voire impossible en l’état actuel des choses – de faire des relevés au sol des installations de machines en raison d’un éboulis de terre et de maçonnerie survenu avant 1951 (conséquence possible d’un bombardement). La disposition des ancrages doit théoriquement être similaire à celle du fort Robert, qui est doté des mêmes machines à cette période (initialement aussi par ailleurs). A ce stade, seules les données trouvées en archives permettent d’étayer cette hypothèse.

 

Îlot des Capucins


Avec sa position géographique articulée entre le secteur du goulet et celui du vestibule du goulet, l’îlot des Capucins était pourvu, à l’aube de la Première Guerre mondiale, de deux projecteurs de 150 cm. Il s’agissait alors de matériel plutôt performant – comme en témoigne leur portée – et cette répartition s’explique principalement par le rôle que le site doit jouer dans la défense. Le projecteur nord, sous casemate, est un projecteur fixe de reconnaissance, orienté en direction du ravin de Toulbroc’h sur la rive nord. Le second, dont l’emplacement de combat se trouve à l’extrémité de l’ancienne batterie sud, est un feu chercheur – c’est-à-dire qu’il est destiné à rechercher les navires par une exploration méthodiques lors des phases de reconnaissance. L’usine électrique, grand bâtiment voûté situé entre l’ancienne caserne et l’accès à la batterie casematée, possède deux groupes à vapeur dédiés à leur alimentation électrique.
Toujours en place en 1928, ce matériel se compose de deux projecteurs de 150 cm Sautter-Harlé reliés chacun à un groupe à vapeur Chaligny de 30 chevaux. Si les projecteurs en eux-mêmes sont jugés dans un « état convenable », ce n’est pas le cas des chaudières qui sont « très usagées ». Rappelons que ces machines sont, à cette date, en place sur l’îlot dans un environnement corrosif depuis près de 40 ans. Le remplacement des chaudières par des moteurs à explosion est d’autant plus justifié que la situation géographique rend complexe le ravitaillement en charbon et en eau. En effet, bien que les chaudières soient équipées d’évaporateurs pour limiter la consommation d’eau, le système ne fonctionne pas en circuit fermé, cela implique donc de la perte d’eau dans le circuit.
Le remplacement d’une des machines par un moteur à combustion est effectif peu avant 1930. Le moteur Gnome de 4 cylindres, d’une puissance de 35 chevaux, est transporté d’un îlot à l’autre puisqu’auparavant installé sur l’îlot de Bertheaume, au nord du vestibule. La seconde machine à vapeur devait également être remplacée, l’effectivité de cette mise à jour n’a pu être démontrée.

Figure 18 : Travaux à réaliser sur l’îlot des Capucins, signalés en rouge © Service historique de la Défense

Figure 18 : Travaux à réaliser sur l’îlot des Capucins, signalés en rouge © Service historique de la Défense

La période de travaux menée au début des années 1930 sur l’îlot des Capucins consiste à construire un magasin à carburant sur le même principe que celui de Cornouaille, ainsi qu’une grande citerne en béton armé de 30 m3 pour stocker l’eau de refroidissement des moteurs (Figure 18).
Sur les différents sites que présentés précédemment, l’îlot des Capucins semble être celui qui nous laisse le plus d’incertitude quant aux mouvements de matériels opérés à cette période. La condamnation du projecteur sous casemate était en réalité prévue par le plan d’éclairage de 1927. Après la diffusion de ce plan de refonte de l’éclairage des côtes, le maintien en place du projecteur fixe a été demandé par le commandement du secteur maritime afin de réaliser un barrage lumineux en lien avec un second projecteur fixe installé dans le ravin de Toulbroc’h. Les observations faites in situ ainsi que les archives consultées ne nous ont pas permis de savoir si le remplacement du second groupe à vapeur avait finalement eu lieu avant 1940. Jusqu’au printemps 1934, les deux derniers groupes à vapeur en position sur le front de mer de Brest étaient alors installés à Toulbroc’h et sur l’îlot des Capucins. Nous n’avons pas connaissance de la raison de ce maintien tardif si ce n’est que la situation budgétaire ne permettait pas leur remplacement. Ce renouvellement de matériel est en tout cas vivement demandé et de manière répétée par le commandement du bataillon de côte : effectivement, le fait de maintenir une machine à vapeur impose d’avoir sur place un personnel connaissant le matériel, plus particulièrement le chauffeur1. Avec un moteur à explosion, ce poste n’est plus nécessaire et un mécanicien seul peut conduire la machine.

Figure 19 : Relevés des emplacements dans l'usine électrique des Capucins © Julien Hily, 2023

Figure 19 : Relevés des emplacements dans l'usine électrique des Capucins © Julien Hily, 2023

De même que pour les précédents sites, les relevés effectués sur site permettent d’expliciter la configuration et le plan des équipements. L’emplacement d’un groupe de 35 chevaux – composé d’un moteur Gnome 4 cylindres, d’une dynamo L’Éclairage électrique ainsi que d’une pompe à eau pour le circuit de refroidissement – a pu être identifié (Figure 19). La deuxième moitié de l’usine (partie gauche de la Figure 20) donne ainsi à voir plusieurs éléments au sol (socle de béton, goujons, goulottes de passage d’eau, etc.), dont l’identification formelle est impossible en l’état actuel de nos connaissances. Il n’est cependant pas à exclure qu’ils puissent correspondre à un groupe à vapeur, ce que viendrait confirmer le maintien de la seconde machine jusqu’en 1940.

Figure 20 : Vue générale de l'usine de l’îlot des Capucins. Il semblerait que le local ait été divisé en deux à une date inconnue, à en juger par les traces de peinture sur les murs – État mai 2020 © Julien Hily

Figure 20 : Vue générale de l'usine de l’îlot des Capucins. Il semblerait que le local ait été divisé en deux à une date inconnue, à en juger par les traces de peinture sur les murs – État mai 2020 © Julien Hily

Figure 21 : Vue du local à carburant des Capucins. Comme à Cornouaille, un des murs de l’ancien parc à charbon en appentis sert de base au local bétonné – État mai 2020 © Julien Hily

Figure 21 : Vue du local à carburant des Capucins. Comme à Cornouaille, un des murs de l’ancien parc à charbon en appentis sert de base au local bétonné – État mai 2020 © Julien Hily

Conclusion


L’analyse des sites et des documents d’archives tend à confirmer l’idée que ces installations ont toutes subi une remise à niveau durant l’entre-deux-guerres. Il s’agit, dans un premier temps, d’un remplacement des machines à vapeur usagées devenues obsolètes, puis par la modification voire la reconstruction des infrastructures recevant ce matériel. Si les machines ont entièrement disparu à Roscanvel, l’agencement des bâtiments reste encore lisible du fait de la désaffectation de ces sites après la Seconde Guerre mondiale. D’un point de vue archéologique, leur état actuel est comparable à celui de la Libération, voire à celui de 1940, tant les aménagements réalisés par l’occupant apparaissent mineurs.
Notons en outre que tous les groupes électrogènes installés au début des années 1930 proviennent de postes photo-électriques déclassés et qu’aucun investissement de matériel neuf n’a été effectué. On y verra certainement la marque d’une volonté générale d’économie, à une époque où la défense des côtes fait l’objet de crédits limités. Le matériel, bien qu’ancien, semble néanmoins remplir la fonction demandée dans la position géographique reculée du front de mer brestois que forme à cette période le goulet. Ce constat demanderait à être confronté à une étude approfondie des autres sites de défense qui composent le secteur maritime de Brest, en particulier à ceux pour lesquels la Marine a pu se procurer des ensembles d’éclairage modernes. En effet, les batteries nouvellement construites au cours de l’entre-deux-guerres que sont celles des Rospects, de Kerbonn et du cap de la Chèvre ainsi que d’un autre ensemble d’éclairage installé sur la pointe du Toulinguet mériteraient que leur histoire soit également mise en lumière.

Julien HILY


Remerciements à O. Jouan pour sa relecture

Sources :


Service historique de la Défense (Vincennes)
 • Département Armée de Terre
 • Département Marine, Archives du service central des travaux maritimes
 • Département Marine, État-major général, Correspondances à l’arrivée


Service régional de l’inventaire de la région Bretagne, installation photo-électrique
 • Pointe des Espagnols
 • Fort Robert
 • Batterie de Cornouaille
 • Îlot des Capucins

Voir également l'article dédié à l'îlot des Capucins ici.


Marco FRIJNS, Luc MALCHAIR, Jean-Jacques MOULINS, Jean PUELINCKX, Index de la fortification française, 1874-1914, s.l., autoédition, 2008, 832 p.


1 Il faut comprendre ici le sens premier du mot chauffeur, c’est-à-dire désignant un ouvrier spécialisé dans le fonctionnement de la chaudière à vapeur.

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