Forteresse Isabelle II, La Mola, Port-Mahon, Minorque

Montalembert à la sauce mahonnaise ?

Le contrôle de Port-Mahon (Mahón en espagnol, Maó en catalan) et de sa rade, à la pointe est de l'île de Minorque, est un enjeu stratégique majeur pour les puissances navales actives dans le bassin occidental de Méditerranée. Durant les guerres navales qui les opposent au 18e siècle, l'Espagne, la France et la Grande-Bretagne se prennent et se reprennent mutuellement l'endroit, d'abord espagnol, puis anglais de 1708 à 1756, français de 1756 à 1763 (échangé contre Belle-Île...), re-anglais de 1763 à 1783, espagnol de 1783 à 1798, re-re-anglais de 1798 à 1802 puis définitivement espagnol à partir de 1802. Durant la première moitié du 19e siècle, Minorque se retrouve dans la ligne de mire d'une France en expansion en Afrique du nord et d'une Grande-Bretagne soucieuse de sécuriser ses communications avec Malte et au-delà, sur fond général de rivalités au sujet du devenir de l'empire Ottoman. Comme l'ancienne citadelle de Port-Mahon - le fort Saint-Philippe - a été détruite en 1782-1783, le gouvernement espagnol décide la construction d'un nouveau fort, non plus au sud de l'entrée de la rade, mais au nord, dans la presqu'île de La Mola.

L'ouvrage est en construction de 1850 à 1875. Il s'organise autour d'un réduit central précédé d'un grand "ouvrage à cornes" - qui n'a d'ouvrage à cornes que le nom. Deux branches à redans rejoignent les côtes de la presqu'île au nord et au sud, les hautes falaises dispensant de clore entièrement la position. Le complexe d'entrée se situe sur la branche sud. Le tracé de l'ouvrage appartient globalement au système tenaillé, avec des flanquements perpendiculaires et beaucoup de feux frontaux. Le fossé est précédé d'un chemin couvert émaillé de places d'armes.

La Mola vue depuis le site du fort Saint-Philippe

Aperçu du flanc sud

L'essentiel de la forteresse est construite en pierre de taille ou directement creusée dans la roche. La terre végétale est rare, la ressource manquant localement dans un lieu aride et rocailleux. Ce qui frappe est l'abondance des emplacements pour l'artillerie, à ciel ouvert mais aussi casematés, parfois sur plusieurs niveaux : l'ensemble aurait pu accueillir plus de 360 pièces d'artillerie ! Les galeries de fusillade sont également très présentes. Les défenses des deux rentrants du flanc nord sont particulièrement puissantes (et très photogéniques), même si "l'ouvrage à cornes", son réduit casematé et sa caponnière ne sont pas en reste. L'ensemble est un labyrinthe très minéral au grand bonheur du fortariciologue (et du taïkophile) averti, d'autant que la mise en œuvre est soignée et fourmille de détails architecturaux.

Enfilade de casemates d'artillerie

Bleu, ocre, vert

Profusion de créneaux de tir

Guérite en plein revival moyenâgeux

Mur crénelé

Porte en arc brisé et oculus

Memento mori

Latrines (pour les latrinophiles)

La grande rampe de "l'ouvrage à cornes"

Flanquement

Le site de La Mola a continué d'être occupé militairement jusque dans les années 2000. Aussi le vaste espace fermé par la forteresse (12 hectares !) est-il jonché de magasins à poudre de différentes époques, de batteries de côtes de la fin du 19e siècle et du 20e siècle (dont deux énormes canons Vickers de 381 mm), de casernes, de prisons, de complexes de citernes et de bassins de récupération d'eau, de canons de divers modèles, etc. On trouve même un parcours du combattant avec faux char en béton. Difficile d'en faire le tour en une journée...