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Association "1846"

La fortification du XIXe siècle : connaître et partager

Réduit de Landaoudec, Crozon

Landaoudec n'est pas que synonyme de Festival du Bout du Monde : derrière la grande scène se cache un élément original du riche patrimoine fortifié de la presqu'île de Crozon.

© Géoportail
© Géoportail

© Géoportail

Le fort – ou réduit – de Landaoudec est un ouvrage de fortification permanente terrestre construit en presqu'île de Crozon au milieu des années 1880. Situé sur une hauteur à 2500 mètres au nord du bourg de Crozon, il fait face à l'Est. Contre quoi ? Contre qui ?

Une invasion allemande ?

« Prévoir […] que les Allemands viendront assiéger notre ville [Brest], devenue la dernière ressource de la patrie, après avoir traversé la France, c'est comme si l'on se préoccupait de protéger Belfort contre un débarquement dans la rade de Douarnenez » (contre-amiral Réveillère, La Dépêche de Brest, 4 décembre 1892)

En effet, une telle hypothèse n'est pas prise au sérieux dans les documents relatifs à la défense du port de Brest. Si au cours d'une éventuelle guerre, l'armée allemande se trouvait aux portes de Brest, la situation du pays serait déjà bien compromise... D'ailleurs, en juin 1940 Brest n'est – faiblement – défendu que le temps d'évacuer ce qui peut l'être et saboter le reste.

Mais alors, à quoi bon construire des fortifications terrestres modernes au sud de la rade à la fin du XIXe siècle ?

Pour défendre le port de Brest contre une attaque par la mer.

Ah ? Il va falloir s'expliquer...

Pas de Prussiens à l'horizon !

Pas de Prussiens à l'horizon !

Il faut d'abord rappeler l'importance de Brest pour la France à l'époque. Siège du principal arsenal de la marine sur la façade atlantique depuis le XVIIe siècle, base d'une escadre cuirassée, place forte sur une frontière maritime, Brest peut être une proie tentante en cas de guerre avec un ennemi disposant d'une flotte. Cet ennemi, c'est d'abord la Grande-Bretagne jusqu'au début du XXe siècle, puis l'empire allemand avant la Première Guerre mondiale. Ce n'est pas parce que la « Seconde guerre de Cent Ans » (1688-1815) s'achève à Waterloo que la France et l'Angleterre ne risquent pas d'en venir aux mains pour des questions de rivalités coloniales et d'équilibre européens à plusieurs reprises au XIXe siècle (en 1840 et en 1898 en particulier).

En cas de guerre navale, il peut être très intéressant de tenter un raid sur Brest pour détruire la flotte française et/ou (au choix) les installations de l'arsenal. Pour cela, deux options :

- passer le goulet en force avec une escadre et bombarder le port ;

- débarquer une force terrestre à proximité pour prendre la ville ou la bombarder.

Dans les deux cas cela peut s'accompagner de débarquement de troupes en presqu'île de Crozon, soit pour neutraliser une partie des défenses du goulet et de la rade, soit pour faire diversion.

La véritable menace : la Royal Navy (cuirassé HMS Hercules, 1869)

La véritable menace : la Royal Navy (cuirassé HMS Hercules, 1869)

Un rempart continu barre la racine de la presqu'île de Roscanvel depuis le XVIIe siècle. Ces « lignes de Quélern » ont été modernisées à la fin du XVIIIe siècle et complétées dans les années 1850 par la construction d'un fort immédiatement en arrière. Les progrès de l'artillerie dans la seconde moitié du XIXe siècle (canons rayés tirant plus loin, projectiles explosifs plus puissants) obligent à reporter la défense plusieurs kilomètres en avant, sous la forme d'une ligne de forts. Ce système de « forts détachés » est la nouvelle manière de concevoir les places fortes qui s'impose au cours du XIXe siècle. L'enceinte de Brest est ainsi partiellement doublée d'une ligne de forts dès la fin du XVIIIe siècle.

La ligne de défense destinée à empêcher les débarquements dans les anses de Dinan et de Morgat et d'interdire la progression de troupes mises à terre dans le fond de la baie de Douarnenez s'organise autour d'un ouvrage principal qui lui sert de pivot sud, le fort de Crozon (1883-1886). Au nord, la ligne s'appuie sur le fort de Lanvéoc, un ouvrage du XVIIIe siècle. Entre les deux, une position d'artillerie intermédiaire : Landaoudec. En cas de guerre, des batteries d'artillerie doivent être construites dans les intervalles entre ces trois ouvrages. Toutes ces positions s'appuient mutuellement avec leurs pièces d'artillerie. Des troupes mobiles participent aussi à la défense.

Réduit de Landaoudec, Crozon

La « batterie de Landaoudec » est prévue pour six canons de campagne de 95 mm (portée maximale 8000 mètres) disposés dans des emplacements aménagés de part et d'autre de ce qui est appelé le fort, et qui n'est donc qu'une partie de l'ouvrage, et même pas la plus importante ! Il a une fonction de réduit : « ouvrage construit dans l'intérieur d'un autre pour en prolonger la défense et permettre même d'en chasser l'ennemi » (Littré).

Evocation de la batterie de Landaoudec à la fin du XIXe siècle. De part et d'autre du réduit, les emplacements pour l'artillerie

Evocation de la batterie de Landaoudec à la fin du XIXe siècle. De part et d'autre du réduit, les emplacements pour l'artillerie

La batterie de Landaoudec et son réduit sont construits en 1885-1887. Ils sont organisés comme les forts « Séré de Rivières » (Raymond-Adolphe, 1815-1895, général du génie, directeur de cette arme au ministère de la Guerre de 1874 à 1880, aka « le Vauban de la Revanche ») de l'Est de la France. Et à quoi reconnaît-on un fort Séré de Rivières ?

C'est un gros tas de terre !

Bah ? Il est passé où le fort ?

Bah ? Il est passé où le fort ?

Ceci est dû à une nouvelle manière de construire les ouvrages fortifiés, rendue nécessaire par les progrès de l'artillerie dans les années 1850-1860. Les canons sont désormais rayés et sont capables d'envoyer des projectiles explosifs (obus) plus loin et plus précisément. Les anciennes fortifications construites dans la tradition du système bastionné (milieu XVIe-milieu XIXe siècle) ne sont plus capables d'y résister. Place au système polygonal ! Les nouveaux forts construits en France après la guerre de 1870 sont plus ramassés, avec des cours étroites, des circulations enterrées et tous leurs organes recouverts de plusieurs mètres de terre. La défense rapprochée ne se fait plus depuis des bastions mais par des caponnières cachées au fond du fossé. Ici, au nombre de trois dont une double.

Réduit de Landaoudec, Crozon

Le réduit de Landaoudec comporte aussi des aménagements permettant de loger une centaine d'hommes : casernement, réserves, citerne (alimentée par les eaux de pluie tombant sur le fort), cuisine, latrines. Il n'y a néanmoins jamais eu de garnison à loger en permanence. Comme beaucoup d'ouvrages fortifiés, il est confié en temps de paix à un gardien.

Ah ! Il est là !

Ah ! Il est là !

Le magasin à poudre d'une dizaine de tonnes de contenance sert à stocker les munitions des canons tirant depuis leurs emplacements aménagés au nord et au sud du réduit. Celui-ci ne dispose pas d'artillerie, sa défense reposant sur une crête d'infanterie sur tout son pourtour et sur ses trois caponnières armées de canons-revolvers modèle 1879 (calibre : 40 mm, cadence de tir : 60 coups/minute, projectiles : boîtes à balles, portée : 500 mètres). Le reste de l'organisation défensive comprend un fossé franchi par un pont-levis lui-même précédé d'une grille battue depuis un corps de garde casematé. En temps de guerre les glacis entourant la position sont garnis de réseaux de barbelés.

La caponnière double. Les canons-revolvers prennent tout un côté du fossé en enfilade. La défense rapprochée de la caponnière - qui a son propre fossé - se fait depuis des créneaux de tir et des mâchicoulis (créneaux de pied)

La caponnière double. Les canons-revolvers prennent tout un côté du fossé en enfilade. La défense rapprochée de la caponnière - qui a son propre fossé - se fait depuis des créneaux de tir et des mâchicoulis (créneaux de pied)

L'entrée et le pont-levis "à bascule en-dessous", un des systèmes de ponts rétractables les plus simples, d'usage très répandu dans les fortifications "Séré de Rivières"

L'entrée et le pont-levis "à bascule en-dessous", un des systèmes de ponts rétractables les plus simples, d'usage très répandu dans les fortifications "Séré de Rivières"

Le réduit de Landaoudec est construit exactement au moment où de nouveaux progrès dans l'artillerie - "crise de l'obus-torpille" : apparition des explosifs chimiques puissants - rendent se type de fort obsolète. Néanmoins le fait qu'il soit peu exposé à être attaqué en règle par une troupe munie d'artillerie de siège lui permet de rester en service tel quel jusqu'en 1914. Le béton, employé dès les années 1880 dans les forts de l'Est, ce n'est pas pour lui.

Son inutilité en tant qu'ouvrage fortifié devient manifeste en août 1914 après l'entrée en guerre de la Grande-Bretagne aux côtés de la France qui écarte tout risque d'attaque contre Brest.

Camp d'internés civils (1914-1915), camp de prisonniers et base arrière d'une batterie allemande (Seconde Guerre mondiale), ferme, colonie de vacances, décharge : autant d'usages inattendus et variés jusqu'à son rachat par la communauté de communes de la presqu'île de Crozon en 1999.

Le magasin à poudre, très apprécié des chauves-souris et des hirondelles (sans parler des escargots de Quimper cartonophages)

Le magasin à poudre, très apprécié des chauves-souris et des hirondelles (sans parler des escargots de Quimper cartonophages)

Propriété publique, ne se visite pas en temps normal.

P. Jadé

Sources :

Service historique de la Défense, Vincennes, archives de l'Artillerie et de l’État-major de l'Armée

Service historique de la Défense, Brest, archives du Génie

Revue Avel Gornog

Index de la fortification française 1874-1914

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