Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Association "1846"

La fortification du XIXe siècle : connaître et partager

Fort de Porh Puns, Gâvres

Un véritable patchwork fortifié, aussi monstrueux dans l'assemblage de ses différentes parties d'origines diverses que la créature de Frankenstein (1818). Avec bien entendu des gros bouts de 19e dedans.

Autopsie sommaire.

Porh Puns un jour d'orage (It's alive ! it's alive !)

Porh Puns un jour d'orage (It's alive ! it's alive !)

© Géoportail
© Géoportail

© Géoportail

La littérature attribue la construction d'une première batterie sur le site pendant la guerre de la Ligue d'Augsbourg, à un ordre du marquis de Lavardin (Henri-Charles de Beaumanoir, 1644-1701), lieutenant-général au gouvernement de Bretagne, en 1695. Cette batterie contribue avec celle de Loqueltas à Larmor à la défense des passes de l'entrée de la rade de Lorient et Port-Louis. L'aspect de cet ouvrage n'est pas connu avec précision, bien qu'un plan conservé à la Bibliothèque nationale de France puisse correspondre à cet état de la fin du 17e siècle. En se fiant aux cartes de la fin du 17e siècle la mentionnant, il est possible de s'accorder sur une définition minimale d'une batterie à parapet semi-circulaire à embrasures, fermée à la gorge par un retranchement bastionné, et contenant un bâtiment servant de caserne. Sur place, en l'absence d'étude archéologique, il est difficile d'attribuer tel ou tel vestige à cet état tant la batterie a été remaniée par la suite.

Le demi-bastion nord, candidat sérieux au titre de plus vieux morceau du fort

Le demi-bastion nord, candidat sérieux au titre de plus vieux morceau du fort

En 1744, en pleine guerre de Succession d'Autriche, l'armement du fort se compose de 14 pièces d'artillerie. Un document de 1747, plus précis, fait état de 12 pièces de 36 livres, 4 de 24 livres et un mortier. Des plans datés des années 1740 montrent un fort dont la silhouette générale vue du ciel est proche de celle qu'il a par la suite. Quelques modifications semblent avoir lieu durant la première moitié du 18e siècle, notamment des aménagements dans la grande longère servant de corps de garde et la construction dans le bastion est d'un bâtiment servant de magasin à poudre et de magasin d'artillerie. Ce bâtiment est partiellement conservé sous les massifs de terre rapportés à la fin du 19e siècle.

 

Le magasin à poudre du bastion est, candidat sérieux au titre de plus vieux morceau du fort aussi

Le magasin à poudre du bastion est, candidat sérieux au titre de plus vieux morceau du fort aussi

Une réorganisation du fort a lieu durant les années 1750, notamment vers 1756 au moment de la guerre de Sept Ans : les fronts nord-est et sud-est sont systématiquement munis de parapets crénelés, une barbette pour pièce d'artillerie légère est construite dans le bastion est, l'ancien fossé (ensablé ?) du front de gorge est remplacé par un haha précédé d'un petit redan, une étrange crête d'infanterie formant cavalier est ajoutée dans l'étroit bastion sud, tandis qu'un tout aussi étrange petit ouvrage avancé est construit en avant de l'escarpe côté mer. L'armement en 1758 se compose de dix canons, plus un mortier sans doute placé à l'extérieur du fort. D'autres batteries sont également mentionnées sur toute la pointe de Gâvres.

Esquisse (hypothétique et inachevée, sous réserve de nouvelles trouvailles documentaires amenant à corrections, "quand l'auteur aura le temps") de l'évocation du fort vers 1758

Esquisse (hypothétique et inachevée, sous réserve de nouvelles trouvailles documentaires amenant à corrections, "quand l'auteur aura le temps") de l'évocation du fort vers 1758

A l'aube de la guerre d'Amérique, en 1777-1778, le fort est armé de 9 canons de 36 livres, un de 24 et un de 6 (ce dernier sans doute pour la défense rapprochée). A l'issue de cette même guerre, en 1783, un document mentionne la présence d'affûts de côte à remiser dans le magasin du fort. Comme souvent observé ailleurs, la transition des affûts marins aux affûts à châssis pivotant aurait donc eu lieu vers 1780, avec pour corollaire la modification des parapets : le tir à travers les embrasures est remplacé par le tir à barbette. Une bonne partie de l'escarpe du fort côté mer aurait pu être renforcée à cette occasion.

Aspect de l'escarpe côté mer (fin 18e ou fin 19e siècle ?)

Aspect de l'escarpe côté mer (fin 18e ou fin 19e siècle ?)

Durant les guerres de la Révolution et de l'Empire, le fort est augmenté d'un fourneau à réverbère pour rougir les boulets (attesté en 1803) et de deux guérites. En 1813, son armement est de 5 canons de 36 livres, plus un canon de 4 sur affût de campagne.

Esquisse de l'évocation du fort vers 1815

Esquisse de l'évocation du fort vers 1815

La "commission mixte d'armement des côtes de la France, de la Corse et des îles" de 1841 conserve le fort de Porh Puns. Elle lui attribue 3 canons de 30 livres et 3 obusiers de 22 cm, et prévoit une tour crénelée pour 40 hommes complétée par les bâtiments existants pour caserner les canonniers ainsi qu'un détachement de 20 fantassins. En 1841 toujours, la partie gauche du bastion est - déjà réparée dans les années 1770 suite à des problèmes d'affouillement - s'effondre. Le flanc et la face gauche de ce bastion sont donc reconstruites au début des années 1840, de même que la totalité de ses parapets crénelés.

Face gauche du bastion est reconstruite après 1841

Face gauche du bastion est reconstruite après 1841

Face droite du bastion est : cordon et escarpe du 18e siècle (à gauche), escarpe (à droite) et parapet crénelé des années 1840

Face droite du bastion est : cordon et escarpe du 18e siècle (à gauche), escarpe (à droite) et parapet crénelé des années 1840

Les travaux de modernisation demandés par la commission de défense des côtes ont lieu dès 1847-1848, le fort de Gâvres faisant partie des sites prioritaires en raison de son importance pour la défense de l'entrée de la rade de Lorient. Le parapet de la batterie est rehaussé et épaissi. Un corps de garde crénelé du type de 1846 pour 60 hommes est finalement construit à la place de la tour crénelée prévue, qui aurait été difficile à défiler des vues et des coups du large. Il est globalement conforme au plan-type, à quelques détails près (absence de porte de communication entre la cuisine et le magasin aux vivres, murs des faces nord-est et sud-est épaissis). Il prend place sur la courtine du front nord-est. L'ancien corps de garde - et accessoirement presse à sardines... - disparaît à cette occasion.

C'est un corps de garde crénelé, quoi...
C'est un corps de garde crénelé, quoi...

C'est un corps de garde crénelé, quoi...

Et à l'intérieur aussi...

Et à l'intérieur aussi...

Esquisse de l'évocation du fort vers 1848

Esquisse de l'évocation du fort vers 1848

En 1855, la nécessité de mieux protéger les canonniers d'éventuels tirs d'armes légères du côté de la terre fait construire un imposant mur-traverse barrant l'intérieur du fort. Des vestiges de ce mur disparu à la fin du 19e siècle sont néanmoins encore visibles (et posent des problèmes de concordance avec les documents !).

Vestiges du mur-traverse : c'est pas très impressionnant, mais on était très contents d'avoir trouvé ça

Vestiges du mur-traverse : c'est pas très impressionnant, mais on était très contents d'avoir trouvé ça

En 1861, de nouveaux travaux ont lieu pour agrandir la batterie. D'une part, le terre-plein aménagé en 1847-1848 se révèle trop petit pour accueillir les six pièces d'artillerie prévues, d'autre part la commission de défense des côtes de 1859 attribue à la batterie deux mortiers de 32 cm en plus. Cela a des répercussions sur la courtine de gorge du fort : l'extension de la batterie vers la gauche entraîne le déplacement du mur crénelé et de la porte de plusieurs mètres vers l'extérieur.

Esquisse de l'évocation du fort vers 1865

Esquisse de l'évocation du fort vers 1865

Les parties en maçonnerie des plates-formes des pièces d'artillerie installées dans les années 1860, qui avaient disparues sous les terrassements de la fin du 19e siècle, sont réapparues lorsque ces terrassements ont été en partie enlevés au 20e siècle. D'autres morceaux en pierre de taille sont visibles ça et là sur l'estran.

Soubassements de "dés" en maçonnerie sous-sellette d'affûts (et caméo ombrageux de l'auteur de l'article)Soubassements de "dés" en maçonnerie sous-sellette d'affûts (et caméo ombrageux de l'auteur de l'article)

Soubassements de "dés" en maçonnerie sous-sellette d'affûts (et caméo ombrageux de l'auteur de l'article)

La commission de défense des côtes réactivée en 1872 conserve le fort pour y placer deux pièces de 27 cm destinées à faire du tir de rupture sur les navires qui tenteraient de forcer les passes. Cette batterie est complétée par trois autres armées de canons de 27 et 19 cm, échelonnées le long de la rive sud de la presqu'île de Gâvres. De gros travaux de refonte du fort sont réalisés durant la seconde moitié des années 1870 : les parapets sont encore épaissis, au moins un abri sous traverse est construit entre les emplacements des pièces, deux des faces du corps de garde sont englobées dans un imposant massif terrassé tandis que sa terrasse est recouverte d'une couche de terre, l'ancien magasin à poudre est entièrement enterré, ses deux pièces réunies en une seule et le bâtiment raccourci.

Plates-formes des pièces de 27 cm et abri-traverse sans sa couche de terre

Plates-formes des pièces de 27 cm et abri-traverse sans sa couche de terre

Intérieur de l'abri à munitions situé entre les plates-formes

Intérieur de l'abri à munitions situé entre les plates-formes

Façade enterrée du corps de garde et gaine voûtée d'isolation

Façade enterrée du corps de garde et gaine voûtée d'isolation

La courtine de gorge est encore reconstruite, cette fois sous la forme d'une galerie voûtée crénelée placée sous le massif de terre doublant tout le front sud-est. L'embrasure pour pièce d'artillerie légère visible dans le parapet de la face droite du bastion est date aussi probablement de cette campagne de travaux.

Partie gauche du front de gorge du fort : bastion mi-18e (partie basse), mi-19e (parapets), courtine 19e

Partie gauche du front de gorge du fort : bastion mi-18e (partie basse), mi-19e (parapets), courtine 19e

Galerie crénelée de la courtine de gorge

Galerie crénelée de la courtine de gorge

Esquisse de l'évocation du fort vers 1878

Esquisse de l'évocation du fort vers 1878

Plusieurs observatoires de ligne de torpilles (si vous ne savez pas ce que c'est, voir ici) sont construits à la même époque dans les parages. Il en subsiste quelques vestiges plus très manipulables.

Ceci est un observatoire de ligne de torpilles. Si.

Ceci est un observatoire de ligne de torpilles. Si.

Le fort est encore remanié entre 1888 et 1893 pour l'adapter aux progrès de l'artillerie. Un magasin à munitions en béton spécial est construit (en remplacement d'un abri sous traverse en maçonnerie ?) à gauche des emplacements de tir. A cette occasion, le passage couvert de l'entrée est détruit.

Magasin bétonné du début des années 1890 (ET, NON, CE N'EST PAS UN BLOCKHAUS ALLEMAND !)

Magasin bétonné du début des années 1890 (ET, NON, CE N'EST PAS UN BLOCKHAUS ALLEMAND !)

Il n'est pas impossible que l'escalier sur arc situé à l'arrière de la plate-forme d'artillerie de gauche a été ajouté au même moment, de même qu'aurait été réalisé le doublement de la courtine de gorge par un mur à fruit destiné à compenser la poussée des terres.

Partie datant de la fin du 19e siècle de la courtine de gorge : dès 1878 ? vers 1890 ?

Partie datant de la fin du 19e siècle de la courtine de gorge : dès 1878 ? vers 1890 ?

Esquisse de l'évocation du fort vers 1893

Esquisse de l'évocation du fort vers 1893

Le fort de Porh Puns et les autres batteries de Gâvres (dont la dernière venue durant les années 1890 : une batterie de mortiers de 30 cm) restent en service jusqu'à la Première Guerre mondiale. Une batterie plus moderne est construite à la fin des années 1930. Plus tard, les Allemands installent une batterie sous casemates. Mais le 20e siècle n'est finalement pas très bien représenté dans le fort lui-même : seules deux cuves pour pièces légères (DCA ?) reliées par une tranchée ont été installées sur le massif terrassé central pendant la Seconde Guerre mondiale (et on ne sait même pas par qui...).

Orthophotographie aérienne du sud de la presqu'île de Gâvres en 1953, montrant les différentes installations à l'extérieur du fort de Porh Puns

Orthophotographie aérienne du sud de la presqu'île de Gâvres en 1953, montrant les différentes installations à l'extérieur du fort de Porh Puns

Emplacement pour pièce antiaérienne française ou allemande ?

Emplacement pour pièce antiaérienne française ou allemande ?

Le fort de Porh Puns est bien un ouvrage très complexe malgré sa petite taille, où s’entremêlent pas moins d'une dizaine d'états successifs. Pour un certain nombre d'interprétations et de datations qui semblent acquises, combien de zones d'ombres ?

Vivement que des archéologues férus de fortariciologie moderne et contemporaine viennent mettre le bout de leur truelle dans le coin !

P. Jadé

Esquisses de l'état actuel du fort avec datations à la louche : bleu, fin 17e-milieu 18e ; vert, fin 18e (hypothèse) ; jaune, milieu 19e ; orange, fin 19e ; rouge, 20e
Esquisses de l'état actuel du fort avec datations à la louche : bleu, fin 17e-milieu 18e ; vert, fin 18e (hypothèse) ; jaune, milieu 19e ; orange, fin 19e ; rouge, 20e

Esquisses de l'état actuel du fort avec datations à la louche : bleu, fin 17e-milieu 18e ; vert, fin 18e (hypothèse) ; jaune, milieu 19e ; orange, fin 19e ; rouge, 20e

Sources :

Service historique de la Défense, département Armée de Terre, Vincennes, archives du Génie, de l'Artillerie et de l’État-major de l'Armée.

Bibliothèque nationale de France (Gallica).

Nicolas Faucherre, Philippe Prost et Alain Chazette (dir.), Les Fortifications du littoral, la Bretagne Sud, Chauray-Niort, 1998.

Remerciements à R. Estienne et D. Mens

Dessins L. Duigou, clichés X. Pinon

 

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :