28 Janvier 2018
Matériau abondant (la terre ne manque pas), la terre possède des propriétés qui l'ont régulièrement fait choisir comme composante de l’architecture défensive :
- relative disponibilité et faible coût ;
- facilité de mise en œuvre, de modification et de réparation ;
- capacité à absorber les chocs.
Ces caractéristiques (qu'elle partage d'ailleurs avec le bois) sont toujours valables au 19e siècle, au moment où l'artillerie fait d'énormes progrès. Certes, la maçonnerie est toujours employée tandis que le béton et les cuirassements sont introduits. Mais la terre et le sable continuent à être massivement utilisés, d'autant qu'ils apparaissent comme des réponses face à l'accroissement des pouvoirs destructeurs de l'artillerie. Les défenses en terre de Sébastopol ont montré qu'elles pouvaient supporter d'intenses bombardements pendant le siège de 1854-1855, les forts en sable construits par la Confédération durant la guerre de Sécession ont bien mieux résisté à l'artillerie des flottes de l'Union que leurs prédécesseurs en maçonnerie.
La terre entre donc pour une large part dans les fortifications modernes et contemporaines.
MAIS...
Cette omniprésence effective s'accompagne pourtant d'un profond déficit de reconnaissance en tant qu'élément architectural digne d'intérêt.
Sans entretien, les parties en terre des fortifications se végétalisent très rapidement jusqu'à en devenir illisibles. A l'inverse, elles sont sensibles au piétinement qui fait disparaître leur gazonnement et les expose au ravinement. Les masses terrassées - surtout quand elles sont gorgées d'eau parce que les systèmes de drainage ne fonctionnent plus - exercent des contraintes importantes sur les maçonneries de soutènement.
Inconsciemment jugés moins nobles que les maçonneries, les bétonnages et les cuirassements, les terrassements sont donc régulièrement victimes de choix malheureux :
- considérés comme un poids inutile pesant sur un ouvrage, alors qu'ils en sont partie intégrante ;
- appartenant à un état sacrifié à l'occasion d'un restauration abusive ayant pour but de retrouver un état antérieur plus "prestigieux" ;
- ou tout simplement ignorés à l'occasion de travaux : la terre, plus facile à mettre en œuvre est aussi plus facilement enlevée...
L'intégrité du monument concerné est alors gravement altérée, avec des dispositions incompréhensibles à la vue des seuls éléments en maçonnerie conservés.
Quelques exemples bretons :
La terrasse du corps de garde crénelé de la batterie de Penfret dans l'archipel des Glénan, avec (2013) ses banquettes en terre, et sans (2017)
Concarneau, tour du Maure récemment restaurée et vidée de ses terres : parapet du 19e siècle incompréhensible sans sa banquette en terre
Citadelle du Palais à Belle-Île : niches à munitions (fin 19e siècle) orphelines du parapet terrassé auquel elles étaient associées
Bastions de Groix et des Chambres de la citadelle de Port-Louis avec (1946) leurs terrassements, et sans (© Géoportail)
Citadelle de Port-Louis, bastion des Chambres : abri (fin 19e siècle) privé de ses terres de couverture
Bastion 21 de l'enceinte urbaine du Palais à Belle-Île : plate-forme d'artillerie et vestiges d'embrasure du parapet visibles en mars 2017...
Alors, on donne une chance à la terre ?
P. Jadé