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Association "1846"

La fortification du XIXe siècle : connaître et partager

Côte et montagne : même combat ?

Quelques réflexions sur les points communs entre la fortification de côte et la fortification de montagne.

A priori, mer et montagne sont des milieux qui s'opposent. Toutefois, il est possible d'identifier des logiques communes dans la manière dont ils sont fortifiés.

Dans les deux cas, le terrain exerce de fortes contraintes sur l'implantation et le faciès des ouvrages. Les modèles théoriques dominants - fortification bastionnée classique, par exemple - sont plus facilement abandonnés pour des formes ad hoc.

Dans notre collection "fortification adaptée au rocher"  : le fort des Capucins (Brest) et le fort du Larmont Inférieur (Pontarlier)Dans notre collection "fortification adaptée au rocher"  : le fort des Capucins (Brest) et le fort du Larmont Inférieur (Pontarlier)

Dans notre collection "fortification adaptée au rocher" : le fort des Capucins (Brest) et le fort du Larmont Inférieur (Pontarlier)

D'autant que la nature de la menace sur la côte comme en montagne exclut de recourir aux standards les plus élevés adaptés à l'emploi d'une artillerie lourde de siège difficile à déployer suite à un débarquement ou sur de mauvaises routes de montagne. Cela se traduit par :

- la conservation de places anciennes aux fortifications théoriquement obsolètes ;

- pour les ouvrages terrestres, un décalage qualitatif par rapport aux ouvrages continentaux majeurs ;

- la part plus importante de formes défensives adaptées à la défense contre et par l'infanterie, les infiltrations de celle-ci étant rendues plus faciles par la difficulté à contrôler le terrain, tandis que les obstacles verticaux s'y opposant sont moins vulnérables à l'artillerie.

Branches tombantes à murs crénelés : obstacle aux infiltrations d'infanterie et adaptation au terrain (batterie de la Fraternité, Roscanvel, et retranchement du Chauffaud, Pontarlier)Branches tombantes à murs crénelés : obstacle aux infiltrations d'infanterie et adaptation au terrain (batterie de la Fraternité, Roscanvel, et retranchement du Chauffaud, Pontarlier)

Branches tombantes à murs crénelés : obstacle aux infiltrations d'infanterie et adaptation au terrain (batterie de la Fraternité, Roscanvel, et retranchement du Chauffaud, Pontarlier)

L'étude magistrale de Philippe Truttmann (selon nous improprement titrée Les derniers Châteaux-forts) sur la conservation en France aux époques moderne et contemporaine de formes architecturales défensives jugées archaïques, tire l'essentiel de son corpus des ouvrages de côte et de montagne. Il en explique fort clairement les raisons :

"D'abord, la fortification, a dit Vauban, ne consiste pas en règles et en systèmes. A chaque cas particulier sa solution. Or, les frontières de l'hexagone ne sont pas, de loin, exclusivement constituées de "régions moyennement accidentées" où le gros canon à boulet métallique avait, en quelque sorte, imposé aux enceintes la solution bastionnée comme seul recours face à l'attaque.

Nos frontières comportent aussi plus de 800 km de zones de montagnes où le canon de siège n'a longtemps pu circuler que sur quelques rares chemins, sans pouvoir trouver de positions d'attaque convenables face à de véritables nids d'aigle.

Par ailleurs, sur près de 2000 kilomètres de côtes, le nombre impressionnant des grosses pièces placées dans les flancs des navires assaillants, instables par définition même, restera longtemps en situation minoritaire face aux pièces des batteries de la défense terrestre, moins nombreuses, mais bénéficiant de la stabilité, de la protection de leurs parapets et ne risquant ni la superposition des coups, ni l'attaque pied à pied tant qu'un débarquement n'avait pas réussi.

Or, chaque fois que sur les côtes ou en montagne, dans des conditions diamétralement opposées mais aboutissant au même résultat, la menace du gros canon se trouvera éliminée, on verra les ingénieurs militaires non pas retrouver, mais bien continuer à pratiquer formes et structures transmises par leurs aînés de Philippe Auguste ou de Charles V."

(Philippe Truttmann, Les Derniers Châteaux-forts. Les prolongements de la fortification médiévale en France (1634-1914), Thionville, Gérard Klopp, 1993, p. 15)

D'où le succès de la forme "tour" dans la fortification de côte et de montagne : tour d'artillerie, blockhaus de surveillance, réduit défensif, etc. Avec parfois les mêmes ouvrages : les tours-modèles de Napoléon sont employées sur les côtes aussi bien qu'en montagne (Mont-Cenis), les corps de garde crénelés de 1846 conçus initialement comme des réduits de batteries de côte peuvent apparaître dans des projets d'ouvrages de montagne.

Plans-types utilisés sur les côtes et en montagne au 19e siècle (tour-modèle du Toulinguet, Camaret-sur-Mer, blockhaus du Chauffaud, Pontarlier)Plans-types utilisés sur les côtes et en montagne au 19e siècle (tour-modèle du Toulinguet, Camaret-sur-Mer, blockhaus du Chauffaud, Pontarlier)

Plans-types utilisés sur les côtes et en montagne au 19e siècle (tour-modèle du Toulinguet, Camaret-sur-Mer, blockhaus du Chauffaud, Pontarlier)

Certains organes se retrouvent presque à l'identique dans les deux cas. Par exemple, le manque de place et l'impossibilité de protéger efficacement l'artillerie des ouvrages amènent parfois à la placer sous casemates, alors fréquemment creusées dans le rocher.

Après tout, quelle différence entre une batterie de côte destinée à interdire une passe et une batterie de montagne destinée à interdire... une passe ?

Batteries casematées : côté mer, fort des Capucins, côté montagne, fort l'EcluseBatteries casematées : côté mer, fort des Capucins, côté montagne, fort l'Ecluse

Batteries casematées : côté mer, fort des Capucins, côté montagne, fort l'Ecluse

Ceci nous amène au point suivant : les points communs ne se limitent pas aux formes, ils s'étendent aussi aux logiques d'implantation, en particulier l'étagement.

Les ouvrages de montagne sont classiquement répartis entre ouvrages d'interdiction barrant les vallées et ouvrages de protection empêchant les premiers d'être dominés. Ce schéma est à l’œuvre sur la côte quand des batteries basses sont complétées par des ouvrages établis au dessus d'elles pour les couvrir contre une attaque à revers.

Etagement de la fortification en montagne : Fort l'Ecluse et forts de l'EsseillonEtagement de la fortification en montagne : Fort l'Ecluse et forts de l'Esseillon

Etagement de la fortification en montagne : Fort l'Ecluse et forts de l'Esseillon

Etagement de la fortification sur la côte : fort du Mengant (Plouzané) et fort du Corbeau (Plougastel-Daoulas)Etagement de la fortification sur la côte : fort du Mengant (Plouzané) et fort du Corbeau (Plougastel-Daoulas)

Etagement de la fortification sur la côte : fort du Mengant (Plouzané) et fort du Corbeau (Plougastel-Daoulas)

Dernier point commun : la difficulté de construire et de maintenir des ouvrages fortifiés dans des régions parfois pauvres, en des lieux difficiles d'accès, en pleine mer ou sur des pentes escarpées, dans des milieux soumis à une forte érosion où chaque hiver gel ou tempêtes prélèvent leur tribut sur les constructions humaines.

P. Jadé

O érosion, que de dégâts... (batterie de Cornouaille, Roscanvel, et fort du Larmon Inférieur)O érosion, que de dégâts... (batterie de Cornouaille, Roscanvel, et fort du Larmon Inférieur)

O érosion, que de dégâts... (batterie de Cornouaille, Roscanvel, et fort du Larmon Inférieur)

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