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Association "1846"

La fortification du XIXe siècle : connaître et partager

Pourquoi si peu de fours à boulets bien conservés ?

Parce que la plupart ont été détruits. Ou pillés.

Des nombreux fours à rougir les boulets construits dans les batteries de côtes pendant les guerres de la Révolution et de l'Empire, fourneaux à réverbère ou simples grils, peu ont effectivement subsisté, et encore moins en bon état. En Bretagne, ne sont bien conservés que ceux du fort La Latte, des batteries d'Erquy, du Roselier près de Saint-Brieuc, de Saint-Quay-Portrieux et du fort de Camaret.

Four à boulets de la batterie du Roselier (cliché M. Lalaurie)

Four à boulets de la batterie du Roselier (cliché M. Lalaurie)

Four à boulets du fort de Camaret, récemment restauré

Four à boulets du fort de Camaret, récemment restauré

Et les autres ?

La technique du tir à boulets rouges dans la défense des côtes, très à la mode au tournant des XVIIIe et XIXe siècles mais comportant de nombreuses contraintes (parvenir à chauffer correctement et rapidement les boulets, les sortir du four et les introduire incandescents dans le tube du canon à quelques centimètres de la charge de poudre...), est abandonnée en France dans les années 1840. A cette époque, la mise au point de bouches à feu capables de tirer des projectiles explosifs permet d'obtenir des résultats comparables en termes de dégâts sur les navires sans les inconvénients des boulets rouges.

Évocation en écorché d'un fourneau à réverbère de type Meusnier, par Lionel Duigou

Évocation en écorché d'un fourneau à réverbère de type Meusnier, par Lionel Duigou

Évocation du fonctionnement du fourneau à réverbère du fort de Camaret, par Lionel Duigou

Évocation du fonctionnement du fourneau à réverbère du fort de Camaret, par Lionel Duigou

Devenus inutiles, les fours présents dans les ouvrages ont souvent été détruits à l'occasion des modernisations de ceux-ci au cours du XIXe siècle. Sur la bonne vingtaine de fours existants dans la région de Brest (du Conquet à Camaret) à la fin de l'Empire, plus de la moitié ont été ainsi sacrifiés au cours du siècle suivant. A Belle-Île, des sept batteries encore équipées d'un four à boulets en 1824, toutes sauf une sont concernées par une refonte dans les années 1858-1861, durant laquelle les fours disparaissent.

Fours à boulets des batteries de Beaufort (ruiné) et de Cornouaille (disparus) visibles sur le plan-relief de Brest

Fours à boulets des batteries de Beaufort (ruiné) et de Cornouaille (disparus) visibles sur le plan-relief de Brest

Et les autres ?

Force est de constater que ceux qui ont été abandonnés semblent avoir été victimes d'un acharnement ciblé. Alors que nombre de batteries et de corps de garde de surveillance déclassés au XIXe siècle ont été conservés, il ne reste souvent des fours à boulets que des amas de ruines, voire moins. Seuls quelques moellons rubéfiés ont été retrouvés lors de la fouille de la batterie de Toul Logot à Plougonvelin dans les années 2000. Une ruine parfois précoce : en 1824, les fours de la batterie de Kerrel et d'une des batteries de la pointe des Poulains à Belle-Île sont déjà mentionnés démolis. Il en est de même en 1831 pour celui de la batterie du Cabellou à Concarneau.

Emplacement du four à boulets de la batterie du Cabellou

Emplacement du four à boulets de la batterie du Cabellou

Il faut alors envisager l'hypothèse du pillage, et notamment celui des briques réfractaires tapissant leurs voûtes. Cette pratique est déjà dénoncée sous l'Empire par le général Bernadotte :

"Les fours situés dans des lieux isolés sont pillés par les paysans pour récupérer les briques réfractaires, les portes métalliques, les ferrures et les grilles des foyers" (André et Jacqueline Tiret, "Les fours à rougir les boulets construits en France entre 1793 et 1820", Archeam, n° 10, 2003, p. 42-46, cité p. 43)

Le fait est connu depuis l'époque moderne : les populations littorales récupèrent toutes sortes de matériaux sur les ouvrages isolés et non gardiennés. Les briques réfractaires, coûteuses, peuvent avoir attiré les convoitises. Il n'est pas anodin qu'au fort Cézon, en plus du four à boulets, la voûte du four à pain a également totalement disparu.

Les cas de deux fours à boulets partiellement conservés dans le goulet de Brest semblent confirmer cette hypothèse :

Le four de la batterie de Beaufort près de la batterie de Cornouaille à Roscanvel, abandonné depuis le début du XIXe siècle, est littéralement éventré. Les dalles de schiste de sa couverture et les moellons composant la maçonnerie recouvrant la voûte en briques réfractaires ont été repoussés de part et d'autre, et la voûte entièrement démontée.

Cet amas de gravats embroussaillé est tout ce qu'il reste du four à boulets de la batterie de Beaufort

Cet amas de gravats embroussaillé est tout ce qu'il reste du four à boulets de la batterie de Beaufort

Evocation du four à boulets de la batterie de Beaufort, par Lionel Duigou

Evocation du four à boulets de la batterie de Beaufort, par Lionel Duigou

L'un des deux fourneaux à réverbère du fort du Mengant, miraculeusement préservé (et couvert de très intéressants graffitis), n'a plus de voûte non plus, bien que ses autres parties sont conservées en élévation. Sa présence au sein d'un ouvrage actif laisse penser que la récupération des briques s'est faite avec l'accord de l'autorité militaire, voire par celle-ci.

La partie haute du four à boulets du fort du Mengant, sans la voûte recouvrant la soleLa partie haute du four à boulets du fort du Mengant, sans la voûte recouvrant la sole

La partie haute du four à boulets du fort du Mengant, sans la voûte recouvrant la sole

Ces observations superficielles demanderaient à être confirmées par des fouilles archéologiques en règle. D'autres fours ruinés pourraient être dans le même cas, notamment celui du fort de la Fraternité à  Roscanvel.

P. Jadé

Sources :

Service historique de la Défense, Vincennes, archives du Génie et de l'Artillerie

Archives départementales du Morbihan

Stéphane Esclamanti, "Les fours à boulets rouges", Archeam, n° 9, 2002, p. 43-45

André et Jacqueline Tiret, "Les fours à rougir les boulets des îles de Lérins et de Bretagne", Archeam, n° 9, 2002, p. 46-54

André et Jacqueline Tiret, "Les fours à rougir les boulets construits en France entre 1793 et 1820", Archeam, n° 10, 2003, p. 42-46

Thierry Ribouchon, Les Fortifications de Concarneau, Saint-Evarzec, Ed. du Palémon, 2005

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